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11 mars 2016

XVIIe journée Queneau

L'affiche de la XVIIe journée Queneau ;
on peut cliquer pour mieux lire le programme.

Demain a lieu à Censier la XVIIe journée Queneau sur le thème de l'intersection entre Queneau et la ’Pataphysique. Je planche équanimement à 9 h 45 sur le thème « Au clair des lunettes, ou Pierrot pataphysicien », il s'agit bien sûr du héros de Pierrot mon ami, un des romans que je préfère. Mon culminant camarade François Naudin s'est plutôt polarisé sur Zazie dans le métro avec « Pour une ’Pataphysique du métropolitain » et le Sérénissime Paul Gayot, lui, sur le personnage de Valentin Brû dans Le Dimanche de la vie. On risque d'avoir des surprises agréables avec l'estimé Jean-Michel Pochet et le reste de la troupe. L'entrée est libre dans la limite des places disponibles.
Je mettrai mon intervention en ligne, mais... après !

29 novembre 2015

Pataphysique de l’Apéricube®

Vos amis sont lents à se dégeler à l’apéritif ? Pour accélérer les effets du Martini®, du Campari® orange ou du Frontignan®, joignez l’utile à l’agréable en leur offrant, en plus des Pringles® et des cacahuètes de rigueur, quelques Apéricubes® qui stimuleront à la fois leurs papilles et leurs neurones grâce aux questions posées à l’envers de leur emballage.

Jouissif pour qui se rappelle le massacre poisseux auquel donnait lieu l'ouverture des premières portions de Vache qui rit®, un très ingénieux système de languette permet en effet le dépiautage propre et instantané de l’enveloppe plastico-métallique de ce petit polyèdre de frometon, en une surface déployée en tau, comme une marelle sans Paradis. Cette enveloppe révèle au verso une série de questions de culture générale dont la réponse figure — à l’envers — au dessous de chacune, ou presque.

Versos d’enveloppes d’Apéricubes®.
En haut : Qui est l’auteur ? En bas : Lesquels des frères Weasley ?

C’est ici que vous pouvez (à peu de frais) initier vos invités à la Pataphysique.

Prenez d’abord soin de les détourner de la vulgarité, qui consisterait à s’intéresser aux questions-réponses intactes (et d’autant plus triviales que les réponses, même sens dessus-dessous, restent lisibles). 

Ces réponses manquent en général cruellement d’intérêt : non seulement tout le monde sait  quelle partie du corps soigne la gastro-entérologie quelle rivière [sic] arrose la ville de Toulouse, ou quel est l’auteur de Bons Baisers de Russie, mais à l’heure où tout le monde a son smartphone à portée de main, il est trop aisé de combler, via Google et Wikipedia, l’éventuelle lacune ou le trou de mémoire intempestif, pour venir abonder la connaissance vulgaire.

Orientez plutôt vos hôtes vers la résolution de problèmes autrement plus enthousiasmants pour l’esprit et utiles pour la Science, en leur proposant les véritables énigmes que posent les textes créés aléatoirement par la languette de dépiautage. Car cette languette a entraîné dans sa course un morceau plus ou moins important de la pellicule de plastique adhérant au papier d’alu, celle qui porte justement les textes imprimés ! Les questions tronquées par cet arrachage prennent alors une dimension intéressante, demandent une réflexion poussée, entraînent parfois des discussions acharnées, une passion soudaine parmi vos convives. Voilà la Science en marche. C’est exactement ce que vous souhaitiez !

Ces quelques exemples de questions vous prouveront l’extrême intérêt de la démarche. Essayez de répondre sincèrement, mobilisez ce qui dans votre boîte crânienne n’a pas encore été atteint par le décervelage général, trouvez les Solutions Imaginaires ! 

1. Lesquels des frères Weasley ?
2. Qui est l’auteur ?
3. Sur quelle surface les joueurs ?
4. En cuisine, comment ?
5. Dans quelle ville se trouve la statue ?
6. De quel pays est-il ?
7. Dans quel sport s’illustre ?
8. Dans quel film ?
9. Quelle musique ?


En attente de vos réponses créatives, votre

Élisabeth Chamontin.



09 février 2014

Le sein des Amazones

L'article suivant est paru dans le numéro 26 du Correspondancier du Collège de ’Pataphysique
daté du 15 sable 141 (15 décembre 2013).

***

Le 9 décervelage 140 (16 janvier 2013 vulg.), le HamburgerMorgenpost fit état d’une inquiétante étude réalisée par l’Oberfeldarzt Björn Krapohl, chef du service de chirurgie plastique et de chirurgie de la main à l’hôpital des forces armées allemandes. 

Bien que rasé de près, cet « amazone »
ne fait pas illusion. Le visage, le biceps
et les mollets sont mâles, sans même parler
de la protubérance sous la jupette.
Ce professeur constatait que sur deux cent onze patients mâles opérés des seins en six ans, trente-cinq d’entre eux étaient issus du Wachbataillon, un corps de gardes d’élite présent lors des cérémonies officielles allemandes. Parmi ces trente-cinq gardes, vingt-six présentaient une hypertrophie de la poitrine à gauche, soit 74 %. Le praticien établit en conséquence une « corrélation significative » entre l’activité de ces militaires et la gynécomastie du côté gauche et transmit illico les conclusions de son étude au ministère concerné. 

De quelle activité s’agissait-il ? De celle de plaquer de façon répétée leur Karabiner 98 K (un Mauser) sur le côté gauche de la poitrine, lors des exercices militaires, précise le Hamburger Morgenpost. L’excitation fréquemment réitérée de cette zone provoque en effet une sécrétion hormonale se traduisant par un amas relativement important, puisque le sein gauche ainsi traité peut parvenir à remplir un bonnet C de soutien-gorge. La correspondance amas-zone est en tout cas clairement établie.

Cette découverte kapitale conduit le pataphysicien à s’interroger, comme le fit Plutarque, sur la réalité ou la véracité du mythe des Amazones, ou au moins à le relire à la lumière verte de sa chandelle. En effet, comme il le note et comme chacun le sait, ces féroces viragos n’hésitaient pas à brûler le sein droit de leurs filles ou à se couper le leur, dans le but de mieux tirer à l’arc. Considérant les corps ainsi obtenus et s’appuyant sur le principe d’équivalence, il pose donc l’égalité suivante : 

(torse féminin) – (sein droit)  = (torse masculin) + (sein gauche).

Cela voudrait-il dire que les soldats de la garde d’élite d’Angela Merkel sont des femmes mutilées ? Pas du tout, mais bien plutôt que les intrépides guerrières de la mer Noire, qui ont tant fasciné Homère, Virgile, Hérodote et Quintus de Smyrne, n’étaient en réalité que de vulgaires troufions… 

Le Wachbataillon à l’entraînement

À force de bander leur arc et de frotter leur avant-bras contre un mamelon viril, les militaires scythes, plagiant par anticipation leurs collègues allemands, virent avec honte et effroi se développer sur leurs torses velus une excroissance féminine, et cette excroissance trompa facilement, on le conçoit, Bellérophon, Achille, Héraclès, Thésée, Priam et autres héros grecs confrontés à leurs troupes belliqueuses.

Un problème de symétrie


À ce point de la démonstration, le pataphysicien se heurte à un problème de symétrie. En effet, se dit-il, si les archers scythes tenaient leur arme de la main gauche et la bandaient de la droite, c’est logiquement le sein droit qu’ils auraient dû voir pousser à force de sollicitation pectorale. Celui précisément que se coupaient les Amazones ! 

Écartant l’hypothèse, sans fondement historique, d’une vision des Amazones dans le miroir du bouclier d’Athéna, comme celle d’une armée de Méduses contre lesquelles marcheraient à reculons des troupes de Persées, le pataphysicien, avec méthode, en arrive à la seule conclusion possible : les soldats scythes tenaient leur arc de la main droite et tiraient avec la gauche. 

Cela n’a rien d’extraordinaire. Des histoires comparables sont d’ailleurs décrites dans d’autres écrits antiques. Par exemple, les Benjaminites, tribu sanguinaire s’il en fut, tiraient à la fronde du côté gauche comme il est écrit : 

Dans toute cette armée, il y avait sept cents hommes d’élite gauchers.
Tous ceux-ci, avec la pierre de leur fronde,
étaient capables de viser un cheveu sans le manquer
.
(Bible de Jérusalem, Jg 20:16.)

Et s’ils avaient tiré à l’arc plutôt qu’à la fronde, ç’aurait été bien évidemment du même côté.
Selon toute probabilité, les fières Amazones étaient donc des gauchers.

03 janvier 2014

Pataphysique et aéronautique, histoire de mon grand-père

Extrait du Répertoire général de bio-bibliographie 
bretonne, de René Kerviler, bibliophile breton, 
tome douzième, Rennes, 1900.
Un Deniel, des Denielou. Ce pluriel (breton) forme un nom assez singulier pour qu’on le trouve régulièrement dysorthographié en Daniélou, Denilou, Dénéliou, etc. Ce nom apparaît pour la première fois, en ce qui concerne mon grand-père, dans le Journal des débats du 29 août 1909, parmi ceux des « nommés élèves de l’École Navale à la suite du concours de 1909. » Albert-Jean-Renou Denielou, donc, né le 25 novembre 1890, a été reçu à l’École Navale vingt et unième sur cinquante-neuf, un rang honorable.

À l'École navale
Il s’engage par là dans le cursus normal de tout officier de marine et se retrouve Enseigne de vaisseau de 2classe (EV2) le 5 octobre 1912, affecté au port de Brest. Il navigue d’abord à bord du torpilleur Dunois, puis l'hebdomadaire Navigazette du 19 février 1914 nous apprend que l’EV2 Denielou est désigné pour embarquer à bord du Vaucluse, un aviso-transport mis à flot en 1901, trois mâts et une cheminée. À cette époque, le chef d'État-major de la Marine s’appelle l'amiral Merveilleux-du-Vignaux, ça ne s’invente pas.


Le Vaucluse


Pildir

L'insigne de Pilote de dirigeable,
mêlant l'ancre et les ailes
Combien de temps mon grand-père reste-t-il à bord de ce bâtiment et comment est-il amené à quitter la mer pour les airs, à passer son brevet de « pildir », pilote de dirigeables ? Sans doute les besoins de la guerre, déclarée en juillet 1914, ont-ils décidé de sa carrière. Toujours est-il qu’en 1917, il est passé EV1 (Enseigne de vaisseau de 1re classe) et on le retrouve commandant le Capitaine Caussin, un ballon dirigeable de 9 000 m3 basé à Saint-Viaud (Loire-inférieure). Son second est un officier de réserve appelé de Moras.

Mon grand-père à gauche,
son second à droite
Leur mission consiste vraisemblablement à repérer les champs de mines flottantes, voire les sous-marins allemands qui menacent la navigation maritime, et de protéger nos bâtiments en tirant au besoin de la mitrailleuse Lewis ou du canon de 47. C’est dangereux, parce que les dirigeables sont alors gonflés à l’hydrogène, particulièrement inflammable en cas d’attaque.
Ils voyagent, comme en témoigne une photo de l’Enseigne Denielou à Sidi Ahmed, la base de dirigeables de Bizerte.
Je perds la trace de mon grand père jusqu’au 6 mai 1920, date à laquelle le Journal Officiel indique que « Deniélou A.J.R., Brest, est  autorisé à rejoindre le port de Toulon à l’expiration de son congé de convalescence ». A-t-il été malade ? A-t-il eu un accident ? On ne sait pas.
Il rejoint donc Toulon mais n’y reste pas longtemps puisque le 17 février 1921, le J.O. indique que Deniélou A.J.R., Lieutenant de vaisseau, pilote de dirigeable en service à Cherbourg, part en stage de contrôle au Centre École d’Aviation Maritime (CEAM) de Rochefort. Il a donc pris du galon et va se perfectionner avant de prendre le commandement d’un autre dirigeable. Ce sera l’AT-19, du 11 juin 1921 au 1er juillet 1922.  A.T. veut-dire Astra-Torres, Astra étant la société constructrice et Torres étant l’Espagnol Leonardo Torres Quevedo, un inventeur génial, et pas seulement de dirigeables !

l'AT-19 piloté par mon grand-père
En 1923, mon grand-père est revenu à Toulon, où il commande le centre de ballons captifs. C’est dans cette ville qu’il avait rencontré ma grand-mère, une jolie Bretonne qui avait fui sa cambrousse et ses vaches pour se placer comme « demoiselle de pharmacie ». Leur troisième enfant, mon père Guy, naît le 14 juin de cette année là. Les deux précédents sont morts, l’un dans un accident de voiture, l’autre de maladie. Beaucoup plus tard, ce Guy choisira une carrière tout à fait opposée à celle de son père : il sera comme lui officier de marine, certes, mais commandera des sous-marins, pas des dirigeables ! Mais ceci est une autre histoire.

Le Dixmude

C’est également en 1923, le 21 décembre, que le Dixmude, un gros dirigeable de 68.500 m3, de type Zeppelin, capable de voler à 77 km à l’heure, est frappé par la foudre en Méditerranée entre la Tunisie et la Sicile et s’écrase avec son équipage et ses passagers, soit cinquante personnes. Le Petit Journal du 6 janvier 1924 en fit sa une avec un dessin saisissant, « l’agonie du Dixmude ». Car l’accident eut un retentissement incroyable et donna lieu à de virulentes polémiques.

Le Dixmude
Albert Denielou devait certainement côtoyer son commandant, le lieutenant de vaisseau Jean du Plessis de Grenedan, un lointain descendant de Richelieu, qui n’avait que deux ans de moins que lui. Ça n’a pas dû être drôle pour lui de se pencher sur les causes de la catastrophe qui avait coûté la vie à ses copains. Le Temps du vendredi 1er février 1924 signale en effet que la commission d’enquête sur l’accident du Dixmude « était composée du capitaine de vaisseau de Laborde, commandant le service aéronautique des frontières sud de la France, président ; des capitaines de frégate Legrodidier et Darré, du service de communication du 5e arrondissement maritime ; des lieutenants de vaisseau Beauvais commandant le centre de Cuers, et Deniélou, pilote de dirigeable, commandant le centre de ballons captifs de Toulon. » Cette commission jugeait, dans le dernier chapitre de son rapport, que la cause principale de la destruction du Dixmude était son utilisation pendant la mauvaise saison alors qu’il était vétuste et que tous les précédents rapports tendaient à restreindre ses sorties. La commission concluait « qu’en présence des ordres supérieurs réglant le programme d’entraînement et de sortie du Dixmude, la recherche des responsabilités échapp[ait] à sa compétence. » Voilà qui est bien tourné. Mon grand-père en était-il le rédacteur ? Une haute commission d’enquête est alors nommée, composée d’huiles beaucoup plus gradées, pour rechercher les responsabilités en question. J’ignore quelles furent ses conclusions. Les obsèques nationales de Jean du Plessis, dont on avait retrouvé le corps et la montre arrêtée à 2 h 27, avaient été célébrées à Toulon le 5 janvier.

Mots croisés

Quelques mois se passent puis le JO du 31 juillet 1924 nous apprend que Deniélou A.-J.-R. , Brest, Centre de ballons captifs de Toulon, lieutenant de vaisseau breveté d’aéronautique, doit remplacer au Centre Aéronautique de Rochefort le lieutenant de vaisseau Aeply. Je sais que mon grand-père est toujours à Rochefort l’année suivante car Les Nouvelles littéraires du 28 novembre 1925, dans une liste des concurrents appelés à prendre part à la finale de leur concours de mots croisés, mentionnent : Deniélou, Centre aéronautique, Rochefort sur mer, Charente inf.
L’année suivante cependant il quitte la ville car il est admis à suivre les cours de l’école de guerre navale de Toulon.

Le Chacal
Après le drame du Dixmude, les dirigeables n’ont plus la cote et mon grand-père est descendu du ciel pour retrouver la mer. Il est parallèlement (mais dans l'autre sens) monté en grade, devenant « corvettard », c'est-à-dire capitaine de corvette. Il a commandé le Chacal, à Toulon, puis a été nommé le 2 septembre 1929 au commandement du torpilleur Mangini. Le 6 septembre 1929, on lit sous le titre « Mutations », du journal breton Ouest Éclair, « Deniélou, commandant Mangini, à Bizerte, rejoindra Bizerte par le paquebot partant de Marseille le 20 septembre 1929, en remplacement du capitaine de frégate Constantin ».

Le Mangini
 Une année passe et Le Figaro du 24 décembre 1930 fait état de son avancement au grade de Capitaine de frégate. Il reprend un peu plus tard de l’altitude puisqu’on apprend par le même journal un an après, le 26 décembre 1931, que le capitaine de corvette [sic] Deniélou est détaché auprès du Ministère de l’air. Il est en fait « frégaton » depuis déjà un an, et s’il pilote à nouveau, il n’est plus aux commandes d’un dirigeable, mais d’un hydravion. 

Un FBA 130 comme celui de mon
grand-père. (Remerciements
à Robert Feuilloy)

Je l’imagine bien, dans son coucou en bois, un FBA Clerget 130, sans cockpit, le nez à l’air avec des grosses lunettes, des gants et un casque en cuir. Il survole souvent les paysages de Provence, dont il connaît et apprécie la flore et la faune. Car j’ai découvert que mon grand-père était un entomologiste amateur. Dans le numéro de janvier 1933 des Annales de la Société d’Histoire naturelle de Toulon paraît en effet une communication signée du « Cdt Deniélou, Chef d’État major de l’Aéronautique maritime de la IIIe région ». Je ne peux résister au plaisir de la citer ici entièrement.

Communication du Commandant Denielou

Le Commandant Denielou soumet à la Société d'Histoire Naturelle les deux observations suivantes, faites en avion, au-dessus de l'Étang-de Berre, dans la deuxième quinzaine de Septembre 1932.

Primo — Temps calme, clair et chaud. Milieu de l'après midi. Altitude 300 à 400 m. À peu de chose près à la verticale de la rive. Le pare-brise en face du pilote devient brusquement opaque. Après l'amérissage, [sic] constaté sur la glace la présence de nombreux diptères écrasés par la pression de l'air (vitesse de l'avion : 125 kilomètres à l'heure). Diptères non identifiés.

Secundo — À une date différente, mais dans la même période. Altitude entre 1000 et 1400 m au dessus de l'étang de Berre. Pas de vent. Vitesse de l'avion : 125 k. à l'heure. Aperçu un petit objet venant heurter le pare-brise du pilote, et rebondissant aussitôt pour retomber à l'intérieur du fuselage de l'avion. L'objet était un coléoptère que son état d'écrasement ne m'a pas permis d'identifier d'une manière certaine. Il s'agissait très probablement d'un copris (Lunaris ou hispanus).

Copris lunaris mâle
Ici j’interromps mon grand-père pour me poser la question suivante : si l’identification de l’insecte était si difficile, comment peut-il dire « très probablement un copris lunaris ou hispanus » ? La réponse est dans les planches des bouquins d’entomologie qu’on peut trouver sur Gallica, ou tout simplement sur Wikipedia que je cite : « Le copris espagnol porte sur le front une vigoureuse corne, pointue et recourbée en arrière, pareille à la longue branche d'un pic. À semblable corne, le Copris lunaire adjoint deux fortes pointes taillées en soc de charrue, issues du thorax. » C’est donc à sa corne que mon grand-père a reconnu l’insecte, un mâle. Mais poursuivons la communication.

Il n'est pas possible, non plus, d'affirmer d'une manière certaine, que cet insecte était bien en vol à cette altitude. Une autre hypothèse peut, en effet, être envisagée : celle de l'insecte venant se poser sur la coque de l'hydravion immédiatement avant l'envol, restant pendant un certain temps appliqué sur cette coque par la pression de l'air, puis en étant brusquement décollé par une cause fortuite quelconque (remous par exemple), et suivant alors les filets d'air autour de la coque.

Cette hypothèse paraît peu vraisemblable à l'examen. Les organes de préhension d'un scarabéide [sic] ne peuvent guère lui servir à se maintenir, même appliqué par la pression de l'air, le long d'une surface courbe et lisse (contreplaqué peint au ripolin), comme celle de la partie avant de l'hydravion en cause. Il est donc permis de pencher plutôt vers l'hypothèse de l'insecte rencontré en plein vol, bien que l'altitude indiquée paraisse surprenante. Elle le serait moins si, à ce moment, une forte brise régnante, à caractéristique ascendante, avait permis de supposer que l'insecte avait été entraîné malgré lui. Mais, comme je l'ai dit plus haut, ce n'était pas le cas.

Je l’interromps une seconde fois pour admirer la rigueur scientifique avec laquelle il examine toutes les possibilités, et pour m’amuser de la précision « contreplaqué peint au ripolin ». Un merveilleux fou volant dans une drôle de machine, mon grand-père. Mais laissons le conclure.

Conclusion — Il serait sans doute intéressant, pour l'étude des mœurs entomologiques, de procéder à de véritables dragages de l'atmosphère, à différentes altitudes et époques. J'ignore si de telles expériences ont déjà été entreprises. J'ai demandé à quelques Officiers de l'Aéronautique de la  IIIe Région de bien vouloir me signaler les cas analogues qu'ils pourraient observer.

Le Capitaine de frégate DÉNÉLIOU, [sic] Chef d'État-major de l'Aéronautique maritime de la IIIe Région.

Alors là, chapeau ! Je m’incline car je constate que non seulement mon grand père s’intéressait aux plus petits détails de l’existence avec un sérieux immense et une rigueur scientifique mais il avait en plus le pouvoir de développer des solutions imaginaires, tel le dragage systématique de l’atmosphère, faisant ainsi avant l’heure la preuve d’un esprit véritablement pataphysique. 

Oui, mon grand-père était un patacesseur !

Fin de l'histoire

L’histoire de mon grand-père s’arrête bientôt. Dans le Figaro du 1er janvier 1933, le capitaine de frégate Deniélou figure dans la liste des Officiers de la Légion d’honneur. Il commande  le Centre-école d'aéronautique maritime (CEAM) d'Hourtin à partir du 10 octobre 1933 et habite peut-être avec sa femme et ses deux enfants (une fille, Yvonne, est née après mon père) dans le superbe « cottage » qui domine le centre. En juin 1940, les appareils de la base d’Hourtin devront se saborder et le personnel évacuer le site. Mais mon grand-père n’aura pas connu cet épisode, étant mort d’une mauvaise grippe le 13 janvier 1935 à Chabeuil dans la Drôme, chez son ami le Dr Grangaud, mon grand-père maternel. J'ai déjà raconté sur ce blog l’histoire de leur amitié.

Mon grand-père, ma grand-mère et mon père.



12 novembre 2012

Le prix international « littérature vieillesse » annulé pour cause de dopage !


Réuni le 26 octobre 2012 pour la quatrième édition du prix « littérature vieillesse » qui récompense les ouvrages de littérature molle et peureuse, débilitante, ennuyeuse et niaise, le jury franco-belge s'est abstenu de couronner un candidat. Non qu'un élixir de jouvence se soit mis à dégouliner sur des têtes autant à claques que de gondoles, mais parce que des doutes sur l'équité entre concurrents se sont élevés.

Atteindre certains sommets de la sénilité précoce ne se peut par des moyens strictement naturels. Des faits d'auto-transfusion aidant à vaincre la page blanche et la prise de substances permettant d'accélérer le raccourcissement des télomères sont avérés; des traces d'encre performante oxygénée (EPO) ont été relevées dans les urines des candidats par le laboratoire de l'Observatoire Bruxellois du Clinamen.

Devant la gravité des soupçons, soucieux de préserver un gâtisme sain, le jury a annulé les résultats des années précédentes. Les noms de MM. Guillaume Musso, Marc Lévy et Alexandre Jardin sont donc rayés du palmarès. Ils ne laisseront même pas de traces dans les latrines. Ils devront restituer au jury les charentaises « premier prix » remises en guise de trophée.

Le jury : Léger-Péril, Docteur Lichic, Christine Ferriocci, Théophile de Giraud, Corinne Maier, Theo Poelaert (excusé), Laurent d'Ursel, Johan Buyens.

(communiqué)
Plus sur le prix littérature vieillesse : 
sur le site satiricon.be

26 février 2011

Clavier muet

La seule façon correcte de parler de la mort doit être pataphysique, c’est-à-dire scientifique. 
L’œuvre gaiement thanatologique de Jean-Louis Bailly voit s’imbriquer deux récits  comme deux voix d’une invention : celui d’une inexorable décomposition de trois ans qui fait se succéder sur le cadavre d’un pianiste les huit escouades nécrophages décrites par Mégnin en 1894, et celui de sa vie brève de virtuose autiste et cocufié. 
Le clavier muet sur lequel il s’exerce est le jumeau d’un squelette enfin débarrassé des cordes de ses nerfs, des marteaux de ses muscles, des feutres de sa peau.
Vers la poussière a été édité en 2010 chez Arbre vengeur et coûte 13 euros. 

12 février 2011

Fantômas


Il aurait frémi, le passant qui serait passé, aux alentours de 20 heures ce vendredi 11 février 2011, dans l’étroite et sombre rue du Volga, une des rues les plus mal famées de ce vingtième arrondissement de Paris, en longeant la blancheur légèrement phosphorescente d’un portail ouvrant sur un atelier dont les fenêtres grillagées et les vitres dépolies laissaient cependant apercevoir de la lumière et deviner la présence d’une nombreuse assemblée. 
Il aurait frémi en entendant sourdre de ce portail une étrange mélopée, dont une oreille exercée pouvait percevoir certaines paroles propres à lui hérisser le poil ! 
« Insaisissable  criminel ! », invoquait une voix sépulcrale.
« Canardez-nous ! » répondaient avec conviction une quarantaine de voix tant masculines que féminines. 
« Sinistre bandit ! » continuait la voix. 
« Endormez-nous ! » implorait la foule. 
« Énigmatique forban ! » poursuivait le maître de cet étrange culte. 
« Kidnappez-nous ! » gémissait l’assemblée avec force. 
« Ah, quelle église impie, quelle secte criminelle cet atelier abrite-t-il donc ? » se serait interrogé notre passant potentiel. Mais s’il lui avait été donné d’observer ce qui était dissimulé à ses yeux par les murs épais de l’atelier du mystère, ce n’est pas un frémissement qui l’aurait parcouru, non ! mais bien une tétanisation foudroyante de tous ses muscles, comme seules peuvent en provoquer l’épilepsie ou l’électrocution ! 
Car dans l’antre maudit d’où s’échappaient ces litanies, il aurait immédiatement remarqué, sur un autel de fortune dressé à la droite de l’officiant, les affreux instruments des plus épouvantables supplices, colorés du sang encore frais de leurs récentes victimes !
Là pendait le crochet de boucher, dégouttant d’un liquide qui n’avait jamais circulé dans les artères d’un bœuf, d’un cochon ou d’un mouton. Là reposait la hache, au tranchant coloré d’un odieux vermillon. Des flacons contenant les poisons les plus foudroyants étaient disposés sur la nappe ainsi que des burettes sacrilèges. De la lame dégoulinante d’un massicot, dépassait une main encore palpitante. Une corde de chanvre — ayant servi à quels étranglements ?  — était nouée au dessus de la table. Un crucifix ensanglanté, suprême blasphème, émergeait d’un fouillis de perruques, de masques, de fausses barbes et de faux cols.
À coup sûr notre passant se fût évanoui…
Il aurait ainsi failli à constater avec quel entrain et quelle gaîté les fidèles qui venaient d’accomplir ce sombre rituel s’étaient précipités, sitôt les mots «ainsi soit-il» prononcés, sur les dizaines de bouteilles de vin blanc et de vin rouge mises à leur disposition, attitude contrastant étrangement avec le sérieux dont ils faisaient preuve les minutes précédentes.
Comment ces gens (dont certains étaient octogénaires), pouvaient-ils paraître si heureux et si détendus, comment pouvaient-ils trinquer sans aucun souci apparent et rire si franchement alors qu’à un mètre d’eux à peine étaient étalées en chair et en os les pires horreurs dont leur inconscient puisse nourrir les rêves des psychopathes ?
C’est que cette mystérieuse assemblée, cette réunion aussi clandestine que repoussante, était le fait de collégiens ! Oh, certes, pas de collégiens dans l’acception vulgairement scolaire du terme, non, mais dans celle de membres d’une société secrètement fausse et faussement secrète, confidentiellement illustre et ouvertement confidentielle, littérairement scientifique et scientifiquement littéraire, en trois mots le fabuleux Collège de ’Pataphysique!
On sait que les optimates de cette société ne divisent pas le temps selon nos habitudes qu’ils qualifient de vulgaires, et ont adopté un calendrier nouveau. Ce calendrier, toujours en usage dans leur cercle restreint, a ceci d'original qu'il intègre à ses mois des jours imaginaires hors-semaine (le 29 Gidouille, plus le 29 Gueules pour les années bissextiles), ce qui lui permet de former 13 mois réguliers de 28 jours chacun (avec une exception, pour confirmer la règle). Il a aussi ses saints propres, qui n’ont que peu de choses à voir avec les saints de la religion catholique romaine. C’est ainsi que Saint Fantômas, archange, se célèbre chez eux le 3 Tatane (date correspondant au 16 juillet de notre calendrier) en compagnie de Se Crapule, puriste.
Ce que célébraient en effet, dans ce lieu reculé et sinistre de l’Est parisien, les membres de cette société secrète, c’était le centenaire du Maître de l’Effroi, du Roi du Meurtre, du Génie du Mal, bref le centenaire de Fantômas, héros maléfique du roman feuilleton de Souvestre et Allain !
La soirée, initiée par le Régent Pierre David, collectionneur obsessionnel de reliques de Fantômas, avait commencé par la visite d’une exposition issue des circonvolutions con-tournées de la cervelle du Régent Azerthiope, expert en horreurs de toutes sortes, à partir des documents fournis par ledit Pierre David et photoshopés par l’équanime rédactrice de ce blog, et de sa propre collection d’objets immondes, le tout sur fond de complainte de Fantômas de Robert Desnos et Kurt Weill chantée par Léo Ferré, trouvée à l'INA par l'équanime citée ci-dessus et dûment gravée par Will Noonan
Elle s’était poursuivie par la lecture d’un centon de François Le Lionnais intitulé De la redondance chez Vestrain, fabriqué à partir des dernières phrases des 32 épisodes de Fantômas écrits par Souvestre et Allain. 
Puis par la lecture, par l’auditeur emphytéote Alain Chevrier lui-même, de deux poèmes de Max Jacob sur Fantômas et d’un poème érotique faussement attribué à Apollinaire mais œuvre du Transcendant Satrape Pascal Pia
Puis par l’interprétation torride d’un dialogue entre l’atroce Fantômas (interprété par Roger Lajus) et sa maîtresse, la belle Lady Beltham incarnée dans l’inoubliable Pauline
S’en était suivi le numéro prodigieux d’un spécialiste incontesté du crime, le célèbre historien Dominique Kalifa, auteur incommensurable de L’Encre et le Sang
Puis par celui de l'illustre romancier Didier Blonde, nous dévoilant les avatars de la cagoule de Fantômas ! 
Puis enfin par la projection au cinématographe d’une œuvre étonnante de Moerman, Monsieur Fantômas, film surréaliste, présenté par le Régent Stéphane Mahieu
Et c’est au moment de la récitation collective des litanies de Saint Fantômas, archange, que notre imbécile de passant potentiel serait passé, ratant le début et la cause, et ignorant à jamais les mystères de la ’Pataphysique !

02 décembre 2010

Normes énormes

L'expat' Laurent C., isolé dans sa lointaine Ukraine, a eu la bonne idée de s'abonner à La Quinzaine littéraire. Il y a trouvé l'autre jour un article intitulé «Raymond Queneau et les premières années de l'Oulipo» et signé de Jacques Duchateau, membre de l'Oulipo depuis le début (il est né en 29). Comme cet article traite des rapports de l'Oulipo avec la 'Pataphysique, il a pensé que cela m'intéresserait. Il avait raison : non seulement ça m'a intéressée, mais ça m'a hallucinée !
Selon Duchateau, qui fait très fort dès l'intro, il y aurait eu au début 3 groupes d'Oulipiens : 
1) Le groupe des scientifiques, dans lequel il met Claude Berge et François Le Lionnais (puis Paul Braffort plus tard), 
2) Celui des pataphysiciens, avec Latis et Noël Arnaud seulement.
3) Celui de cinq autres membres « beaucoup plus proches instinctivement des scientifiques que des 'pataphysiciens » [sic, aussi pour l'apostrophe] à savoir  Bens, Lescure, Queval, Schmidt et Duchateau lui-même. 
Toujours selon le même Duchateau,
Queneau, [...] appartenant aux trois Groupes, [...] voulut intégrer l'Oulipo à l'intérieur dudit Collège. On peut s'interroger sur les raisons profondes d'une telle fusion, impliquant que tous les travaux de l'Oulipo soient considérés comme relevant de la 'pataphysique, ce qui n'était absolument pas le cas, y compris d'ailleurs aux yeux de Queneau...
Passons sur la séparation qu'opère Duchateau entre la 'Pataphysique et la Science. Elle est proprement ridicule pour qui connaît un peu ce dont il s'agit. En effet, pour le Satrape Queneau comme pour tous les pataphysiciens — et parmi eux le Dataire Jacques Bens (par ailleurs agrégé de Sciences Naturelles) et le Régent François Le Lionnais, qui bizarrement semblent tous deux exclus du Collège par Duchateau —  la 'Pataphysique est la Science. 
Passons donc et interrogeons plutôt ce Collège, qui a gardé précieusement les traces de cette époque, en particulier des lettres de Bens et de Queneau, d'ailleurs montrées à Duchateau, paraît-il très étonné de la démarche du Transcendant Satrape qui souhaitait que l'Oulipo « soit quelque chose dans le Collège de 'Pataphysique ». Pourquoi le voulait-il tellement ?
Selon Jacques Bens, l'Oulipo qui liait la mathématique et la littérature et s'attachait à la forme plus qu'au contenu, permettait de sortir enfin de ce contenu, qui était devenu (avec Sartre et Camus, entre autres) l'ornière dans laquelle s'entassaient pêle-mêle sentiments, politique, morale, métaphysique etc.
Mais Queneau, qui selon le P.E.G. actuel « était loin d'être un âne », n'avait-il pas pressenti que l'excès de forme comportait lui aussi un risque ? À la question de savoir si les contraintes consistaient à inventer des normes, il répondait oui, mais « des normes énormes » ! Bref, si la contrainte oulipienne n'est pas pataphysique, ne risque-t-elle pas de devenir académique ?

12 novembre 2010

Abstraction

Maria Montessori
Gérard Berry, de l'Inria, Régent de Déformatique au Collège de 'Pataphysique, membre de l'Académie des sciences et prof au Collège de France, arrive à se trouver quelques moments perdus. Il les occupe à éveiller les petits de l'école Montessori aux joies des mathématiques.
Voici ce qu'il nous a conté dimanche soir, en sortant de la cité Véron où était présenté le Faustroll annoté, qui paraît le 18 novembre prochain aux éditions de la Différence et que je vous recommande d'autant plus chaudement qu'il fait un temps de novembre.
Pour faire comprendre les nombres aux enfants, il leur pose des questions :
— par exemple, qu'est-ce qui représente le 1 ?
— C'est moi, ou c'est toi, ou c'est lui.
— Et le 2 ?
— C'est Papa et Maman !
— Et le 3 ?
— Papa, maman et moi.
— Le 4 ? Euh.. les 4 pattes du chien !
— Bien !
— Les 4 pattes du chat !
— Bien aussi !
— Le 5 ?
— Les doigts de la main.
— Le 10 ?
— Les doigts des deux mains, ou des deux pieds, etc.
Et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il arrive à soixante.
— Soixante ?
Grand silence, les gosses cherchent.
Soudain, un gamin lève le doigt.
— Oui ?
— Je sais ! C'est l'âge de la retraite !

14 mai 2009

Encore un pas et puis le ciel


Le Musée d'Art et d'Histoire de Saint-Denis est installé dans l'ancien Carmel, rénové au XVIIIe siècle par Louise de France, une des filles de Louis XV qui y fut pensionnaire, et au XXe par la Municipalité. Un lieu magnifique, certes un peu austère, mais qui tranche de façon heureuse et douce avec son environnement. À l'entrée de chacune des salles distribuées par le cloître, on peut lire au dessus de la porte une sentence mystique, aujourd'hui parfaitement décalée et donc productrice d'un excellent comique. Surtout quand la salle en question est celle des toilettes pour dames et que la sentence est :
Que votre modestie
Soit connue de tous les hommes.
On note d'autres perles de la même eau comme Le plaisir de mourir sans peine Vaut bien la peine de vivre sans plaisirs. ou Encore un pas Et puis le ciel. Pour atteindre non pas le ciel mais la salle où avait lieu hier mercredi une journée d'étude consacrée à François Caradec, il fallut fouler les tombes des carmélites et longer une citation de Thérèse d'Avila inscrite dans le sol en lettres d'acier. Cela en valait la peine. Étienne Cornevin, professeur de «tératologie poétique» à Paris 8 avait réuni les meilleurs intervenants. Malgré un fil conducteur un peu réducteur, la monstruosité, ils ont réussi à donner une image assez complète de cet auteur aux facettes multiples. Éric Dussert (L'Alamblog, le Matricule des Anges) parla d'abord de L'Encyclopédie des farces et attrapes et mystifications, édité chez Pauvert en 1964, écrit par Caradec en collaboration avec Noël Arnaud et alii, la situant dans le contexte du Collège de 'Pataphysique, de l'Institut français de Farces et Attrapes, et du Da Costa encyclopédique. [À ce point de la réunion, je constate que s'il est beaucoup question du Rire, peu dans la salle semblent se gondoler, en tout cas pas les rares étudiants qui s'y trouvent]. Yves Frémion, en tant que spécialiste incontesté des petits miquets, parle ensuite de Caradec iconologue, et plus particulièrement de sa «colombophilie» : Caradec était un admirateur et connaisseur de Christophe (i.e. Georges Colomb), l'immortel créateur du Savant Cosinus, du Sapeur Camembert et de la Famille Fenouillard, dont il écrit la biographie, la première consacrée à un auteur de bandes dessinées. Puis c'est au tour d'Astrid Bouygues, qui fait un exposé remarquable de finesse sur Caradec lecteur de Queneau, exégète de sa rime «asthmatique», et qui lui a consacré 10 articles. Pour Caradec, l'œuvre de Queneau n'est qu'une longue quête de l'enfance. Jacques Jouet, pour sa belle et riche intervention, a choisi la forme de la quenine qu'il explique au public: neuf strophes de neuf vers avec neuf éléments permutant (dans son cas les débuts de vers) selon des règles précises. Il a remarqué dans les Nuages de Paris l'occurrence importante du mot passer.
Avec ces deux dernières interventions on est un peu sorti de l'image trop réductrice du Caradec humoriste, pour aborder celle du Caradec poète et écrivain, excellent poète et excellent écrivain. C'est la pause. J'en profite pour photographier M. et A. Z. qui prennent des attitudes idoines sous les sentences mystiques. Déjeuner au Thaï d'en face, menu buffet à volonté pour 10 euros cinquante. Pas mal du tout. Et puis cela reprend.
J'ai peu suivi le premier exposé d'Étienne Cornevin sur la logique et Allais, digestion oblige, mais j'ai retenu qu'au mot de «pensée penchée», Claude Debon, de la salle, a fait cette remarque: «mais n'est-ce pas la définition du Clinamen ?» Elle a raison. Christian Laucou intervient ensuite sur Caradec typographe et montre une série de belles images de couvertures ou d'intérieurs de livres. Bruno Fuligni, qui dirige la Mission éditoriale de l’Assemblée nationale, parle brillamment des rapports de la farce et du sacré. Le comique de la politique vient de son excès de sérieux. La politique serait la mystification par excellence. Les «petites histoires» de l'Assemblée nationale, toutes vérifiables, sont toutes fausses ou presque. Mais chez Caradec, tout est vrai, et il a le don à partir du petit détail, de reconstituer l'ensemble, le grand truc finalement si dérisoire auquel il a conduit. Alain Zalmanski, remplaçant Paul Gayot, explique à un public déjà bien initié les arcanes de la 'Pataphysique, de ses commissions et co-commissions, ainsi que les fonctions et les titres de François Caradec, à l'aide de slides Power Point. [C'est curieusement le seul de toute la bande qui se soit servi de cet outil pourtant indispensable au conférencier d'aujourd'hui]. Étienne Cornevin conclut enfin, mais il n'y a plus un étudiant dans la salle. La table ronde qui suivit a dû paraître bizarre aux deux ou trois non pataphysiciens présents dans ce qui restait de public.

25 juin 2007

Peinture à l'eau

Il est mignon, le jardin de la gare de Charonne. Situé à l’emplacement d’un ancien dépôt de charbon, tout près de la Petite Ceinture, à l’angle de la rue du Volga et du boulevard Davout, il offre aux promeneurs des allées ombragées, aux amoureux et aux vieillards des bancs en nombre appréciable, et aux enfants une aire de jeux que domine un imposant toboggan, qu’on dirait dessiné par Tardi ou construit par Guénolé Azerthiope avec des objets de récupération. Un potager bordé de choux-raves très décoratifs, une fontaine gazouillante et des bassins nénuphardés de rose complètent ce tableau idyllique. Et voilà soudain le paradis envahi jeudi, vers 18 h, par une horde d’hurluberlus hirsutes, frôlant le 3e voire le 4e âge, chargés qui d’un seau en plastique, qui d’un balai brosse, qui d’une bouteille d’eau percée scotchée sur un manche, qui d’un pinceau chinois au bout d’un bambou, qui encore d’une éponge taillée en pointe et vissée à un bâton. Ces étranges personnages, ayant trempé leurs étranges instruments dans le seau rempli d’eau ou directement dans les bassins, entreprennent alors de réaliser à même le sol des dessins que photographient deux de leurs compères. Entreprennent seulement, car il ne faut pas plus de quelques minutes pour qu’ils se voient entourés d’une nuée de gosses, curieux d’abord, puis s’enhardissant jusqu’à vouloir essayer eux-mêmes. L’attroupement provoque l’arrivée des gardes qui, après avoir palabré, pesé le pour et le contre, et constaté que l’inondation du sol, non seulement ne provoque aucuns dégâts, mais tend de plus à s’évaporer avec la chaleur, décident de laisser faire. La patouille devient alors générale. Un jeune Brandon tout noir a signé de son nom un gigantesque bonhomme qu’il contemple avec une fierté mêlée d’émotion. Une fillette de 8 ou 9 ans a tracé un grand cercle rempli de petits ronds, c’est un arbre avec des fraises. Guénolé Azerthiope, tiens le voilà, s’entoure de gidouilles humides, tandis que Thieri Foulc, d’un filet d’eau continu, fait apparaître dans la poussière les courbes appétissantes d’une femme à poil, provoquant l’étonnement des petits et des grands. Les photographes continuent imperturbables leur travail. Les photos, réunies en un livre, fixeront pour l’éternité ou presque ces œuvres éphémères. Il se fait tard. Les mamans des enfants s’inquiètent de ces jeux inhabituels. Le jeune Brandon, sérieux comme un homme, me rend solennellement le balai de chiottes qu’il m’avait emprunté. « Je dois y aller », me dit-il. Et il ajoute, avec un tantinet de cérémonie : « Merci, j’ai aimé le faire ».

21 octobre 2002

Exercice pataphysique

H.M. a demandé aux membres de la liste Oulipo de lui envoyer une autre liste, celle de leurs 27 bouquins préférés. Pressée samedi par Stéphane, je me suis exécutée. C'est un exercice que j'ai trouvé difficile. Les premiers viennent comme une évidence, puis rapidement on est obligé d'opérer des choix, d'éliminer l'un si drôle au profit de l'autre si profond ou inversement, de se torturer pour savoir si l'on peut ajouter tel roman qu'on n'a pas encore lu mais qu'on a acheté pour le lire et feuilleté, et qu'on a vraiment le désir de lire. En retour, H.M. m'a envoyé les listes qui lui étaient déjà parvenues. Il y a des constantes, c'est normal, mais pas forcément celles qu'on attendrait. Baudelaire est un must, Primo Levi aussi, mais également Hergé et Jules Verne. Intéressant.