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17 novembre 2013

XVIIe Colloque des Invalides. Le secret.

Cette année, je ne participais pas en tant qu'intervenante au XVIIe colloque des Invalides, ce qui m'a permis de prendre quelques notes pour les lecteurs de Blog O'Tobo. Je rappelle que les intervenants n'ont que 5 minutes montre en main pour s'exprimer, ce qui rend le contenu d'autant plus passionnant.

Alain Zalmanski et les Hommes dansants de Conan Doyle

C’est Alain Zalmanski qui démarre en trombe, avec « la Stéganographie ou l’art de lire entre les lignes », art pratiqué par de nombreux précurseurs de l’Oulipo comme Conan Doyle avec ses Hommes dansants, Edgar Poe dans son Scarabée d’or, Willy et son sonnet acrostiche injurieux pour Hubacher, ou Fils du peuple de Maurice Thorez recélant « Fréville a écrit ce livre » dans une phrase de la première édition.

La Joconde est un portrait dont le commanditaire (et mari) refusa la première version. Benoît Noël avec « le secret de la souris qui sourit, définitivement dévoilé » suppose hardiment, au vu du regard en coin de la belle, qu’elle avait été initialement peinte nue. Vinci serait donc le premier peintre à avoir peint son modèle nu et habillé, à l’instar de Manet, de Goya et de nombreux autres, exemples projetés à l’appui.

David Christoffel pense, et il a raison, qu’on ne peut pas réduire La Flûte enchantée à la franc-maçonnerie, pas plus que la Pathétique de Tchaïkowski ne se résume à l’homosexualité de son auteur ou que d’autres secrets de compositeurs n’expliquent leurs musiques. Pourtant, on continue à en faire des livres.

Olivier Salon et la Boîte verte de François Le Lionnais

Olivier Salon qui enquête depuis déjà des années sur la vie de François Le Lionnais, nous raconte « le mystère de la boîte verte », dont l’exemplaire de luxe numéro 4 fut offert et dédicacé à FLL par Marcel Duchamp, son partenaire aux échecs, puis volé par les nazis tandis que son propriétaire était dans les camps, retrouvé par hasard à Stockholm par FLL en 1966 dans une expo, puis enfin vendu 130 000 euros par Sotheby’s à un riche collectionneur qui a été mis au courant par O. Salon de l’origine de son acquisition. On attend impatiemment la suite.

Dans la discussion qui suit ce premier tour de table, on apprend par Françoise Gaillard l’origine de L’Origine du monde : les modèles nus se faisant rares, les peintres de l’époque se servent de plus en plus de photos pour travailler. On a récemment retrouvé un croquis de Rodin représentant le même objet que celui de Courbet : même position, même forme, même cadrage… Donc L’Origine du monde a été peinte d’après photo !

Christophe Bourseiller relate quant à lui sa propre expérience chez les francs-maçons, ce qui donne envie de lire son livre « Un maçon franc ». Si les secrets sont ceux des rites et gestes qui ont été révélés il y a deux siècles, pourquoi interdire d’en parler ? S’il s’agit de l’Insondable, de toutes façons il ne peut être révélé donc trahi.

Alain Chevrier embraye avec « les lettres secrètes de Perec » (joli monovocalisme), en l’occurrence les « belles absentes » sur le nom de sa compagne Catherine Binet, dont un poème fait de vers de 35 lettres, car elle avait 35 ans. Il termine avec un filigrane de Michèle Métail, « double secret provocateur de renseignement », dont la solution est « agent », et un équivalent graphique de la forme « belle absente ».

Tiphaine Samoyault : la traduction augmente le secret

Le « motif dans le tapis » qui apparaît chez Henry James et « bondit sur lui comme une tigresse qui bondit hors de la jungle » intéresse Tiphaine Samoyault, qui constate que l’abstraction et la violence subsistent si l’on renonce à chercher le secret. Le mouvement de la traduction, lui, augmente paradoxalement ce secret.

Maurice Culot, avec « Passages secrets », a écrit un centon magnifique où sont collés des textes des plus grands auteurs dont Poe et Balzac. C’est si bien fait que l’auditeur ne s’en rend pas compte, tout en ayant l’impression d’avoir déjà lu ça quelque part…

Après la pause café, Philippe Oriol s’attaque aux « petits secrets de l’affaire Dreyfus », c'est-à-dire qu’il pourfend les historiens amateurs qui prétendent dans un livre récent expliquer l’affaire par l’homosexualité de deux attachés militaires, l'Italien Panizzadi et l'Allemand Max von Schwartzkoppen. Il s’agit de surinterprétation, d’une vision paranoïaque de l’Histoire.

En plus d’auteurs comme Alban Berg ou Fats Waller, le «roman clownesque» de Félicien Champsaur a inspiré Andrea Oberhuber. Constatant que le personnage de Lulu exerce une sorte de fascination, elle explique pourquoi avec « Les secrets de Lulu », projetant quelques unes des nombreuses illustrations du livre, intéressant également par sa disposition typographique.

Andrea Oberhuber, Bertrand David,  Paul Edwards et Philippe Oriol

Pour comprendre ce qui a pu pousser Nicéphore Niépce à croire à la possibilité de fixer des images, Bertrand David nous « révèle », c'est le cas de le dire, ses secrets. Nicéphore Niépce n’a jamais existé. Joseph prend à 22 ans le nom de Nicéphore 1er, celui qui a mis fin à la querelle des images mille ans plus tôt. Plus tard Niépce déclare qu’« on » lui a communiqué qu’il fallait utiliser du bitume de Judée. Quel « on » ? Mystère. Ce produit était utilisé par bien des peintres et graveurs, il est à l’origine des fissures et du noircissement des tableaux de l’époque, on l’appelle stercus diaboli, la merde du diable.

J’avoue avoir un peu décroché pendant la communication de Paul Edwards, président de l’Ouphopo, qui enchaîna sur «les secrets de la chambre noire», à cause d’une crise d’acouphènes qui m'en rendait trop difficile le décryptage..

Le badge arboré par les conjurés du XVIIe colloque

Au tour suivant, nous attendions un certain Jules Huchin sur « un secret de Hollande », mais coup de théâtre ! Dans l’auditoire, plusieurs personnes porteuses du même badge bizarre se mettent à conspuer le Jules en question et à le traiter d’imposteur. Julien Schuh, dont c’est curieusement l’anagramme, expulse l’individu et prend sa place pour parler des « sociétés secrètes au XIXe siècle » et de leurs conséquences esthétiques, les écrivains s’imaginant comme une société secrète pour contrer la vision paranoïaque de l’État. 

Jean-Pierre Lasalle s’interroge ensuite sur l’origine du mot « surréalité », utilisé en italique dans le Manifeste. Il en trouve trace dans les brouillons du Côté de chez Swann, où le mot a été remplacé par « réalité », vraisemblablement par Proust lui-même car André Breton, qu’on aurait pu soupçonner, ne corrige Proust qu’à partir de 1920. On le trouve aussi dans trois poètes après Apollinaire, et dans Cendrars. Mais avant, pendant la guerre ? Le mystère de l’origine du mot est entier.

Henri Béhar nous parle du poème perpétuel de Tristan Tzara, édité en mars 1958 à 22 exemplaires. Il s’agit d’un poème combinatoire écrit sur une volvelle et qui comporte 10^150 possibilités, soit plus que les 100 000 milliards (10^14) de Queneau. « Cette gravure cache un avis secret », mais personne ne l’a jamais trouvé, il faudrait endommager le livre, sans être certain du résultat. Les spéculations vont bon train.

Avec « on écrit pour fixer des secrets » Daniel Bougnoux s’en prend au démon de l’explicitation. On ne gagne rien à révéler le 1er degré, on perd au contraire en séduction. Son intervention est un véritable  pamphlet contre les démystificateurs.

Pendant la discussion qui précède le repas, Françoise Gaillard signale à Jean-Pierre Lasalle que le mot « surnaturalisme » existe chez Huysmans et peut-être aussi « surnaturalité ». À vérifier en cherchant sur Gallica. 

Nous allons déjeuner M. et moi en compagnie de Dominique de R. et de Françoise G. Confit de canard et gratin dauphinois arrosés de bourgogne aligoté. Nous voici reconstitués.

À la reprise, c’est Paul Schneebeli qui parle, sur le sujet « livre secret, secret livre », mais nous sommes un peu en retard à cause du canard et en ratons la plus grande partie. Cinq minutes, c’est si court !

Marc Décimo et Paul Schneebeli

Pierre Cassou-Noguès, très attendu par M. qui a lu les démons de Gödel, lui succède. Il se demande si les savants ont des secrets. On voudrait scruter leurs archives, mais entre le chercheur et les savants il y a… les veuves. La femme de Gödel, Adele, a notamment supprimé des archives les lettres de sa belle-mère. Pourquoi les épouses font-elles ça ? Les savants auraient ils trahi la raison ?

Marc Decimo, qui a découvert Marie-Herminie Hanin, peintre émule de Rosa Bonheur, mais aussi inventeur et promotrice du calendrier perpétuel de son père, nous révèle qu’elle a écrit à Millerand en 1914 pour lui proposer un système de défense anti-aérienne de son invention : c’est un piège à avions formé de câbles accrochés à des dirigeables. Pas con !

Pour Julien Bogousslavsky, qui propose une « clinique du secret », un secret est « une chose qu’on dit à une seule personne à la fois ». Il y a les secrets normaux, mais aussi les pathogènes. Sont évoqués ceux de Cahuzac et celui de Chirac, à l’occasion duquel on a entendu le mot anosognosie pour la première fois. Le déni est le secret, la mise au secret du trouble trop gênant.

Quelqu’un dans la salle pose une question sur Yalta. Selon Julien Bogousslavsky, il aurait sans doute été plus intelligent de révéler à l’époque l’état de Roosevelt, très affaibli, hors d’état de négocier avec ce gros malin de Staline.

Martine Lavaud et le secret des Ultima verba

Martine Lavaud nous révèle ensuite « Le secret des ultima verba ». L’agonie sous la 3e république a des journalistes pour mouchards. Mais les derniers mots du mourant sont-ils géniaux ou plutôt régressifs ? Tel Maupassant, pourtant soigné chez le Docteur Blanche, qui s’écrie « Des ténèbres Oh des ténèbres » ou le guillotiné « donnez moi mes chaussettes ». Depuis les romantiques on ne sait plus mourir.

Michel Golfier nous parle des « châteaux en Espagne de Marc de Montifaud », cette femme auteur de nouvelles « pornographiques » qui eut des démêlés avec la justice, mais qui était aussi critique d’art inspirée.

Daniel Ridge, avec « la face cachée d’un écrivain », examine les lettres échangées entre Paul Bourget adolescent et son amant, lettres qui ont ensuite servi à le faire chanter.

Jean-Paul Goujon se plonge dans quelques unes des 15 000 pages relatant des exploits sexuels, écrites et cryptées en prétendu sanskrit et pendant 30 ans par un « architecte polygame », Henri Alphonse Legrand, mort de syphilis, découvert (et décrypté) par Pierre Louys. Édifiant.

Jacques Neefs se pose la question « le roman peut-il garder un secret ? » D’habitude le roman révèle le secret dont il tire l’élément narratif. Mais quand Sade écrit dans La Philosophie dans le boudoir « il parla bas aux deux femmes », c’est au lecteur d’imaginer ce secret qu’il est le seul à ne pas partager…

Daniel Zinszner et Hervé Le Tellier

Hervé Le Tellier se penche sur les « secrets de fabrication » de la littérature. Certains Oulipiens sont pour les révéler, d’autres pour les cacher. Par exemple, les secrets de fabrication des débuts de roman. Tout a-t-il été fait ?

Un coup de fatigue a rendu mes notes sur l’intervention de Marc Zammitt, «un secret pour personne», totalement illisibles. Elles resteront donc secrètes à part celle-ci : « le secret est-il dans la question ou dans le langage avec lequel nous la posons ? »

L’intervention de Daniel Zinszner, « Index du secret, secrets de l’index », traite de My secret life, catalogue d'exploits érotiques écrit par un anonyme anglais, mais publié à Amsterdam par des typographes non anglophones. Or ce livre comporte un index mystérieux, à la fois insuffisant et redondant…

Après une pause opportune, le colloque reprend avec « Secrétions » et Marc Hanrez qui, visiblement non utilisateur de réseaux sociaux, reprend les clichés les plus éculés dont Finkielkraut se fait aussi l'écho : il n’y a plus de secret à cause d’Internet et c’était mieux avant…

Sur la « Secrétivité », Romain Enriquez a découvert un chapitre dans un livre de phrénologie. La sécrétivité est innée, elle est localisée dans un endroit du cerveau, elle est parfois involontaire. Le secret a une fonction morale et sociale. Mais les criminels ont besoin de dissimuler. C’est le début de l’anthropologie criminelle.

Françoise Gaillard, avec « l’oncle Sam a de grandes oreilles », réfléchit à l’aide de Machiavel sur la question du secret dans le pouvoir. Là où il y a secret il y a pouvoir. Il s’agit de protéger le pouvoir du regard qui en révèlerait le vide. Nos hommes politiques ont donc besoin des fuiteurs qui, en révélant des prétendus « secrets », nous font croire qu’ils sont réellement aux manettes…

Clément Carbonnier aborde le secret fiscal avec un titre mystérieux composé des noms des articles du code général des impôts et du livre de procédures fiscales. LPF : L103, L166D… Un domaine de spécialistes, j'aurais trop peur de retranscrire ici des bêtises.

Dominique Noguez, Pierre Conesa, Olivier Bessard-Banquy, et Emmanuel Pierrat

Olivier Bessard-Banquy livre aux naïfs que nous sommes les « petits secrets de l’édition ». Le secret fait vivre l’édition et vise à faire croire au génie de l’auteur, même quand celui-ci ne sait pas écrire. On joue ici sur le fétichisme qui lie le lecteur au livre. Nous avons tous foi en la pureté du livre...

Dominique Noguez se penche de façon très émouvante et personnelle sur les secrets divulgués brutalement dans les journaux intimes. Leur auteur affronte alors la honte et le remords. Honte d’être nu en pleine vue et remords d’avoir compromis quelqu’un. Sur la honte, Montaigne conseille «qu’on n’ait pas honte de dire ce qu’on n’a pas honte d’éprouver». Mais sur le remords d’avoir compromis les autres… N’est-ce pas finalement la fatalité de toute littérature ?

Les organisateurs — Jean-Jacques Lefrère et Michel Pierssens — avaient mis à la fin deux communications explosives. Celle de Pierre Conesa traitant du « secret défense » et du « secret d’État », et celle d’Emmanuel Pierrat, sur les « Écrivains au secret professionnel ». Il serait trop dangereux pour moi de vous en révéler la teneur.


EC






17 juillet 2013

Le Mur (XVI) Sonnet en taratantaras*



                     La chaleur me rend un peu paresseuse
                     Je vais moins souvent sur mon vélo bleu,
                     Je pédale mieux quand dehors il pleut.
                     La chaleur me rend très peu courageuse.

                     La chaleur me rend soudain dédaigneuse
                     De ce qui faisait mon but glorieux :
                     Perdre mes kilos, dire enfin adieu
                     Au poids encombrant, à la graisse affreuse.

                     Mais ce qui peut seul me remettre en selle
                     À supposer qu’on puisse nommer telle
                     Ce siège anguleux, à mon cul si dur,

                     C’est l’envie de voir, face à ma fenêtre
                     Malgré le niveau de mon thermomètre
                     Comment le soleil peut changer un mur.
        
                      EC

* Taratantara : décasyllabe a césure médiane. À ce sujet, lire Le décasyllabe à césure médiane, histoire du taratantara, Alain Chevrier, Classiques Garnier 406 p., 49 €

20 novembre 2011

Crime raté au XVe colloque des Invalides

A.C pendant son intervention
La veille de son intervention au XVe colloque des Invalides, Alain Chevrier, qui devait traiter à 14 h et en 5 minutes de « l’éloge du crime chez les surréalistes », m’avait envoyé un mail mystérieux que je cite : « peux-tu apporter ton matos photographique et te tenir prête à fixer mon image à la fin de mon intervention (14 h 05), où je menacerai le public d'un revolver (en plastique) ». À quoi je lui avais répondu sur le même ton que je pensais plutôt devoir prévenir la police. 

Toujours facétieux, notre ami avait en effet prévu de terminer son intervention — par ailleurs très érudite — sur la célèbre phrase d’André Breton : « L'acte surréaliste le plus simple consiste, révolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu'on peut, dans la foule ». Il aurait à ce moment précis sorti son pistolet de sa poche, et, le brandissant depuis l’estrade, en aurait fait péter une ou deux cartouches aux oreilles du public dont les ho ! et les ha ! l’auraient intensément réjoui, ainsi que l’auditoire. 

Las ! Cette excellente idée ne put être mise en œuvre. 

Car pour se prémunir contre les menaces terroristes de ces temps troublés, le centre culturel canadien, hébergeur du colloque, qui relève de l’ambassade du Canada en France, et se trouve être par là même une cible potentielle, s’est récemment équipé d’un matériel sécuritaire dernier cri, digne des aéroports internationaux. D’un côté, un portique sonnant à la moindre limaille, de l’autre un tapis roulant recueillant d'une part les sacs et serviettes destinés à être radiographiés en couleurs dans leurs moindres détails, d'autre part le bac plastique contenant les montres, clés, portables etc. traités à part, le tout surveillé par une équipe de cerbères en uniforme à la physionomie nettement moins culturelle que le centre en question, insensibles aux manifestations d’amabilité, et dont on était fondé à mettre en doute le sens de la plaisanterie sinon à craindre la fouille au corps. 

À la vue de la sophistication extrême de l’appareil, qui n’aurait pas manqué de révéler la forme caractéristique de son arme — certes factice — aux yeux de ces dragons, notre ami sentit le sang lui descendre dans les talons. Comment allait-il expliquer à ces portiers patibulaires la présence d’un révolver dans sa sacoche ? Quels arguments invoquerait-il pour justifier son innocence ? Comment se sortirait-il de l’affreux quiproquo et du scandale qui découlerait de la terrible découverte, sachant qu’il se trouvait peut-être en territoire canadien sur le sol français, et allez savoir quelles sont les lois de ce pays ? Toujours est-il que, ni une ni deux, il rebroussa chemin et jeta le jouet, enveloppé dans du papier journal, dans la première poubelle publique venue.

12 février 2011

Fantômas


Il aurait frémi, le passant qui serait passé, aux alentours de 20 heures ce vendredi 11 février 2011, dans l’étroite et sombre rue du Volga, une des rues les plus mal famées de ce vingtième arrondissement de Paris, en longeant la blancheur légèrement phosphorescente d’un portail ouvrant sur un atelier dont les fenêtres grillagées et les vitres dépolies laissaient cependant apercevoir de la lumière et deviner la présence d’une nombreuse assemblée. 
Il aurait frémi en entendant sourdre de ce portail une étrange mélopée, dont une oreille exercée pouvait percevoir certaines paroles propres à lui hérisser le poil ! 
« Insaisissable  criminel ! », invoquait une voix sépulcrale.
« Canardez-nous ! » répondaient avec conviction une quarantaine de voix tant masculines que féminines. 
« Sinistre bandit ! » continuait la voix. 
« Endormez-nous ! » implorait la foule. 
« Énigmatique forban ! » poursuivait le maître de cet étrange culte. 
« Kidnappez-nous ! » gémissait l’assemblée avec force. 
« Ah, quelle église impie, quelle secte criminelle cet atelier abrite-t-il donc ? » se serait interrogé notre passant potentiel. Mais s’il lui avait été donné d’observer ce qui était dissimulé à ses yeux par les murs épais de l’atelier du mystère, ce n’est pas un frémissement qui l’aurait parcouru, non ! mais bien une tétanisation foudroyante de tous ses muscles, comme seules peuvent en provoquer l’épilepsie ou l’électrocution ! 
Car dans l’antre maudit d’où s’échappaient ces litanies, il aurait immédiatement remarqué, sur un autel de fortune dressé à la droite de l’officiant, les affreux instruments des plus épouvantables supplices, colorés du sang encore frais de leurs récentes victimes !
Là pendait le crochet de boucher, dégouttant d’un liquide qui n’avait jamais circulé dans les artères d’un bœuf, d’un cochon ou d’un mouton. Là reposait la hache, au tranchant coloré d’un odieux vermillon. Des flacons contenant les poisons les plus foudroyants étaient disposés sur la nappe ainsi que des burettes sacrilèges. De la lame dégoulinante d’un massicot, dépassait une main encore palpitante. Une corde de chanvre — ayant servi à quels étranglements ?  — était nouée au dessus de la table. Un crucifix ensanglanté, suprême blasphème, émergeait d’un fouillis de perruques, de masques, de fausses barbes et de faux cols.
À coup sûr notre passant se fût évanoui…
Il aurait ainsi failli à constater avec quel entrain et quelle gaîté les fidèles qui venaient d’accomplir ce sombre rituel s’étaient précipités, sitôt les mots «ainsi soit-il» prononcés, sur les dizaines de bouteilles de vin blanc et de vin rouge mises à leur disposition, attitude contrastant étrangement avec le sérieux dont ils faisaient preuve les minutes précédentes.
Comment ces gens (dont certains étaient octogénaires), pouvaient-ils paraître si heureux et si détendus, comment pouvaient-ils trinquer sans aucun souci apparent et rire si franchement alors qu’à un mètre d’eux à peine étaient étalées en chair et en os les pires horreurs dont leur inconscient puisse nourrir les rêves des psychopathes ?
C’est que cette mystérieuse assemblée, cette réunion aussi clandestine que repoussante, était le fait de collégiens ! Oh, certes, pas de collégiens dans l’acception vulgairement scolaire du terme, non, mais dans celle de membres d’une société secrètement fausse et faussement secrète, confidentiellement illustre et ouvertement confidentielle, littérairement scientifique et scientifiquement littéraire, en trois mots le fabuleux Collège de ’Pataphysique!
On sait que les optimates de cette société ne divisent pas le temps selon nos habitudes qu’ils qualifient de vulgaires, et ont adopté un calendrier nouveau. Ce calendrier, toujours en usage dans leur cercle restreint, a ceci d'original qu'il intègre à ses mois des jours imaginaires hors-semaine (le 29 Gidouille, plus le 29 Gueules pour les années bissextiles), ce qui lui permet de former 13 mois réguliers de 28 jours chacun (avec une exception, pour confirmer la règle). Il a aussi ses saints propres, qui n’ont que peu de choses à voir avec les saints de la religion catholique romaine. C’est ainsi que Saint Fantômas, archange, se célèbre chez eux le 3 Tatane (date correspondant au 16 juillet de notre calendrier) en compagnie de Se Crapule, puriste.
Ce que célébraient en effet, dans ce lieu reculé et sinistre de l’Est parisien, les membres de cette société secrète, c’était le centenaire du Maître de l’Effroi, du Roi du Meurtre, du Génie du Mal, bref le centenaire de Fantômas, héros maléfique du roman feuilleton de Souvestre et Allain !
La soirée, initiée par le Régent Pierre David, collectionneur obsessionnel de reliques de Fantômas, avait commencé par la visite d’une exposition issue des circonvolutions con-tournées de la cervelle du Régent Azerthiope, expert en horreurs de toutes sortes, à partir des documents fournis par ledit Pierre David et photoshopés par l’équanime rédactrice de ce blog, et de sa propre collection d’objets immondes, le tout sur fond de complainte de Fantômas de Robert Desnos et Kurt Weill chantée par Léo Ferré, trouvée à l'INA par l'équanime citée ci-dessus et dûment gravée par Will Noonan
Elle s’était poursuivie par la lecture d’un centon de François Le Lionnais intitulé De la redondance chez Vestrain, fabriqué à partir des dernières phrases des 32 épisodes de Fantômas écrits par Souvestre et Allain. 
Puis par la lecture, par l’auditeur emphytéote Alain Chevrier lui-même, de deux poèmes de Max Jacob sur Fantômas et d’un poème érotique faussement attribué à Apollinaire mais œuvre du Transcendant Satrape Pascal Pia
Puis par l’interprétation torride d’un dialogue entre l’atroce Fantômas (interprété par Roger Lajus) et sa maîtresse, la belle Lady Beltham incarnée dans l’inoubliable Pauline
S’en était suivi le numéro prodigieux d’un spécialiste incontesté du crime, le célèbre historien Dominique Kalifa, auteur incommensurable de L’Encre et le Sang
Puis par celui de l'illustre romancier Didier Blonde, nous dévoilant les avatars de la cagoule de Fantômas ! 
Puis enfin par la projection au cinématographe d’une œuvre étonnante de Moerman, Monsieur Fantômas, film surréaliste, présenté par le Régent Stéphane Mahieu
Et c’est au moment de la récitation collective des litanies de Saint Fantômas, archange, que notre imbécile de passant potentiel serait passé, ratant le début et la cause, et ignorant à jamais les mystères de la ’Pataphysique !