Extrait du Répertoire général de
bio-bibliographie
bretonne, de René Kerviler, bibliophile breton,
tome
douzième, Rennes, 1900.
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Un Deniel, des Denielou. Ce
pluriel (breton) forme un nom assez singulier pour qu’on le trouve régulièrement
dysorthographié en Daniélou, Denilou, Dénéliou, etc. Ce nom apparaît pour la
première fois, en ce qui concerne mon grand-père, dans le Journal des débats du 29 août 1909, parmi ceux des « nommés
élèves de l’École Navale à la suite du concours de 1909. » Albert-Jean-Renou Denielou,
donc, né le 25 novembre 1890, a été reçu à l’École Navale vingt et unième sur
cinquante-neuf, un rang honorable.
À l'École navale |
Il s’engage par là dans le cursus
normal de tout officier de marine et se retrouve Enseigne de vaisseau de 2e classe
(EV2) le 5 octobre 1912, affecté au port de Brest. Il navigue d’abord à bord du
torpilleur Dunois, puis l'hebdomadaire Navigazette du 19 février 1914 nous
apprend que l’EV2 Denielou est désigné pour embarquer à bord du Vaucluse, un aviso-transport mis à flot
en 1901, trois mâts et une cheminée. À cette époque, le chef
d'État-major de la Marine s’appelle l'amiral Merveilleux-du-Vignaux, ça ne
s’invente pas.
Le Vaucluse |
Pildir
L'insigne de Pilote de dirigeable, mêlant l'ancre et les ailes |
Combien de temps mon grand-père
reste-t-il à bord de ce bâtiment et comment est-il amené à quitter la mer pour
les airs, à passer son brevet de « pildir », pilote de
dirigeables ? Sans doute les besoins de la guerre, déclarée en juillet
1914, ont-ils décidé de sa carrière. Toujours est-il qu’en 1917, il est passé
EV1 (Enseigne de vaisseau de 1re classe) et on le retrouve
commandant le Capitaine Caussin, un
ballon dirigeable de 9 000 m3 basé à Saint-Viaud
(Loire-inférieure). Son second est un officier de réserve appelé de Moras.
Mon grand-père à gauche, son second à droite |
Leur
mission consiste vraisemblablement à repérer les champs de mines flottantes, voire
les sous-marins allemands qui menacent la navigation maritime, et de protéger
nos bâtiments en tirant au besoin de la mitrailleuse Lewis ou du canon de 47.
C’est dangereux, parce que les dirigeables sont alors gonflés à l’hydrogène,
particulièrement inflammable en cas d’attaque.
Ils voyagent, comme en témoigne
une photo de l’Enseigne Denielou à Sidi Ahmed, la base de dirigeables de Bizerte.
Je perds la trace de mon grand
père jusqu’au 6 mai 1920, date à laquelle le Journal Officiel indique que « Deniélou A.J.R., Brest, est autorisé à
rejoindre le port de Toulon à
l’expiration de son congé de convalescence ». A-t-il été malade ? A-t-il
eu un accident ? On ne sait pas.
Il rejoint donc Toulon mais n’y
reste pas longtemps puisque le 17 février 1921, le J.O. indique que Deniélou
A.J.R., Lieutenant de vaisseau, pilote de dirigeable en service à Cherbourg,
part en stage de contrôle au Centre École d’Aviation Maritime (CEAM) de
Rochefort. Il a donc pris du galon et va se perfectionner avant de prendre le
commandement d’un autre dirigeable. Ce sera l’AT-19, du 11 juin 1921 au 1er
juillet 1922. A.T. veut-dire
Astra-Torres, Astra étant la société constructrice et Torres étant l’Espagnol Leonardo Torres Quevedo, un inventeur génial, et pas seulement de dirigeables !
l'AT-19 piloté par mon grand-père |
En 1923, mon grand-père est revenu
à Toulon, où il commande le centre de ballons captifs. C’est dans cette ville qu’il
avait rencontré ma grand-mère, une jolie Bretonne qui avait fui sa cambrousse et
ses vaches pour se placer comme « demoiselle de pharmacie ». Leur
troisième enfant, mon père Guy, naît le 14 juin de cette année là. Les deux
précédents sont morts, l’un dans un accident de voiture, l’autre de maladie.
Beaucoup plus tard, ce Guy choisira une carrière tout à fait opposée à celle de
son père : il sera comme lui officier de marine, certes, mais commandera des
sous-marins, pas des dirigeables ! Mais ceci est une autre histoire.
Le Dixmude
C’est également en 1923, le 21
décembre, que le Dixmude, un
gros dirigeable de 68.500 m3, de type Zeppelin, capable de
voler à 77 km à l’heure, est frappé par la foudre en Méditerranée entre la
Tunisie et la Sicile et s’écrase avec son équipage et ses passagers, soit
cinquante personnes. Le Petit Journal du
6 janvier 1924 en fit sa une avec un dessin saisissant, « l’agonie du
Dixmude ». Car l’accident eut un retentissement incroyable et donna lieu à
de virulentes polémiques.
Le Dixmude |
Albert Denielou devait certainement côtoyer son
commandant, le lieutenant de vaisseau Jean du Plessis de Grenedan, un lointain
descendant de Richelieu, qui n’avait que deux ans de moins que lui. Ça n’a pas
dû être drôle pour lui de se pencher sur les causes de la catastrophe qui avait coûté la vie à ses copains. Le Temps du vendredi 1er février
1924 signale en effet que la commission d’enquête sur l’accident du Dixmude « était composée du capitaine de vaisseau de
Laborde, commandant le service aéronautique des frontières sud de la France,
président ; des capitaines de frégate Legrodidier et Darré, du service de
communication du 5e arrondissement maritime ; des lieutenants
de vaisseau Beauvais commandant le centre de Cuers, et Deniélou, pilote de
dirigeable, commandant le centre de ballons captifs de Toulon. » Cette commission
jugeait, dans le dernier chapitre de son rapport, que la cause principale de la
destruction du Dixmude était son
utilisation pendant la mauvaise saison alors qu’il était vétuste et que tous
les précédents rapports tendaient à restreindre ses sorties. La commission
concluait « qu’en présence des ordres supérieurs réglant le
programme d’entraînement et de sortie du Dixmude, la recherche des responsabilités échapp[ait] à sa compétence. »
Voilà qui est bien tourné. Mon grand-père en était-il le rédacteur ? Une
haute commission d’enquête est alors nommée, composée d’huiles beaucoup plus
gradées, pour rechercher les responsabilités en question. J’ignore quelles
furent ses conclusions. Les obsèques nationales de Jean du Plessis, dont on
avait retrouvé le corps et la montre arrêtée à 2 h 27, avaient été célébrées à
Toulon le 5 janvier.
Mots croisés
Quelques mois se passent puis le
JO du 31 juillet 1924 nous apprend que Deniélou
A.-J.-R. , Brest, Centre de ballons captifs de Toulon, lieutenant de vaisseau
breveté d’aéronautique, doit remplacer au Centre Aéronautique de Rochefort
le lieutenant de vaisseau Aeply. Je sais que mon grand-père est toujours à
Rochefort l’année suivante car Les
Nouvelles littéraires du 28 novembre 1925, dans une liste des concurrents appelés
à prendre part à la finale de leur concours de mots croisés, mentionnent :
Deniélou, Centre aéronautique, Rochefort
sur mer, Charente inf.
L’année suivante cependant il
quitte la ville car il est admis à suivre les cours de l’école de guerre navale
de Toulon.
Le Chacal |
Après le drame du Dixmude, les
dirigeables n’ont plus la cote et mon grand-père est descendu du ciel pour
retrouver la mer. Il est parallèlement (mais dans l'autre sens) monté en grade, devenant
« corvettard », c'est-à-dire capitaine de corvette. Il a commandé le Chacal, à Toulon, puis a été nommé le 2
septembre 1929 au commandement du torpilleur Mangini. Le 6 septembre 1929, on lit sous le titre « Mutations
», du journal breton Ouest Éclair, «
Deniélou, commandant Mangini, à
Bizerte, rejoindra Bizerte par le paquebot partant de Marseille le 20 septembre
1929, en remplacement du capitaine de frégate Constantin ».
Le Mangini |
Un FBA 130 comme celui de mon grand-père. (Remerciements à Robert Feuilloy) |
Je l’imagine
bien, dans son coucou en bois, un FBA Clerget 130, sans cockpit, le nez à l’air
avec des grosses lunettes, des gants et un casque en cuir. Il survole souvent
les paysages de Provence, dont il connaît et apprécie la flore et la faune. Car
j’ai découvert que mon grand-père était un entomologiste amateur. Dans le
numéro de janvier 1933 des Annales de la
Société d’Histoire naturelle de Toulon paraît en effet une communication
signée du « Cdt Deniélou, Chef d’État major de l’Aéronautique maritime de
la IIIe région ». Je ne peux résister au plaisir de la citer
ici entièrement.
Communication du Commandant Denielou
Le Commandant Denielou soumet à
la Société d'Histoire Naturelle les deux observations suivantes, faites en
avion, au-dessus de l'Étang-de Berre, dans la deuxième quinzaine de Septembre
1932.
Primo — Temps calme, clair et
chaud. Milieu de l'après midi. Altitude 300 à 400 m. À peu de chose près à la
verticale de la rive. Le pare-brise en face du pilote devient brusquement
opaque. Après l'amérissage, [sic]
constaté sur la glace la présence de nombreux diptères écrasés par la pression
de l'air (vitesse de l'avion : 125 kilomètres à l'heure). Diptères non identifiés.
Secundo — À une date différente,
mais dans la même période. Altitude entre 1000 et 1400 m au dessus de l'étang
de Berre. Pas de vent. Vitesse de l'avion : 125 k. à l'heure. Aperçu un petit
objet venant heurter le pare-brise du pilote, et rebondissant aussitôt pour
retomber à l'intérieur du fuselage de l'avion. L'objet était un coléoptère que son
état d'écrasement ne m'a pas permis d'identifier d'une manière certaine. Il
s'agissait très probablement d'un copris (Lunaris ou hispanus).
Copris lunaris mâle |
Ici
j’interromps mon grand-père pour me poser la question suivante : si
l’identification de l’insecte était si difficile, comment peut-il dire
« très probablement un copris lunaris ou hispanus » ? La réponse
est dans les planches des bouquins d’entomologie qu’on peut trouver sur
Gallica, ou tout simplement sur Wikipedia que je cite : « Le copris espagnol porte sur le front une vigoureuse corne, pointue et recourbée en arrière, pareille à la longue branche d'un pic. À semblable corne, le Copris
lunaire adjoint deux fortes pointes taillées en soc de charrue, issues du
thorax. » C’est donc à sa corne que mon grand-père a reconnu l’insecte, un mâle.
Mais poursuivons la communication.
Il n'est pas possible, non plus,
d'affirmer d'une manière certaine, que cet insecte était bien en vol à cette
altitude. Une autre hypothèse peut, en effet, être envisagée : celle de
l'insecte venant se poser sur la coque de l'hydravion immédiatement avant
l'envol, restant pendant un certain temps appliqué sur cette coque par la
pression de l'air, puis en étant brusquement décollé par une cause fortuite
quelconque (remous par exemple), et suivant alors les filets d'air autour de la
coque.
Cette hypothèse paraît peu
vraisemblable à l'examen. Les organes de préhension d'un scarabéide [sic] ne peuvent
guère lui servir à se maintenir, même appliqué par la pression de l'air, le
long d'une surface courbe et lisse (contreplaqué peint au ripolin), comme celle
de la partie avant de l'hydravion en cause. Il est donc permis de pencher
plutôt vers l'hypothèse de l'insecte rencontré en plein vol, bien que
l'altitude indiquée paraisse surprenante. Elle le serait moins si, à ce moment,
une forte brise régnante, à caractéristique ascendante, avait permis de
supposer que l'insecte avait été entraîné malgré lui. Mais, comme je l'ai dit
plus haut, ce n'était pas le cas.
Je
l’interromps une seconde fois pour admirer la rigueur scientifique avec
laquelle il examine toutes les possibilités, et pour m’amuser de la précision « contreplaqué peint au ripolin ». Un merveilleux fou volant dans une drôle de
machine, mon grand-père. Mais laissons le conclure.
Conclusion — Il serait sans doute
intéressant, pour l'étude des mœurs entomologiques, de procéder à de véritables
dragages de l'atmosphère, à différentes altitudes et époques. J'ignore si de
telles expériences ont déjà été entreprises. J'ai demandé à quelques Officiers
de l'Aéronautique de la IIIe Région de
bien vouloir me signaler les cas analogues qu'ils pourraient observer.
Le Capitaine de frégate DÉNÉLIOU,
[sic] Chef d'État-major de l'Aéronautique
maritime de la IIIe Région.
Alors là,
chapeau ! Je m’incline car je constate que non seulement mon grand père s’intéressait aux
plus petits détails de l’existence avec un sérieux immense et une rigueur scientifique mais
il avait en plus le pouvoir de développer des solutions imaginaires, tel le
dragage systématique de l’atmosphère, faisant ainsi avant l’heure la preuve
d’un esprit véritablement pataphysique.
Oui, mon grand-père était un
patacesseur !
Fin de l'histoire
L’histoire de mon grand-père s’arrête
bientôt. Dans le Figaro du 1er janvier 1933, le capitaine de frégate Deniélou figure dans la liste des Officiers de la Légion d’honneur. Il commande le Centre-école d'aéronautique
maritime (CEAM) d'Hourtin à partir du 10 octobre 1933 et habite peut-être avec
sa femme et ses deux enfants (une fille, Yvonne, est née après mon père) dans le
superbe « cottage » qui domine le centre. En juin 1940, les appareils
de la base d’Hourtin devront se saborder et le personnel évacuer le site. Mais mon grand-père
n’aura pas connu cet épisode, étant mort d’une mauvaise grippe le 13 janvier
1935 à Chabeuil dans la Drôme, chez son ami le Dr Grangaud, mon
grand-père maternel. J'ai déjà raconté sur ce blog l’histoire de leur amitié.
Mon grand-père, ma grand-mère et mon père. |
AJR, apports journaliers recommandés.
RépondreSupprimerBelle histoire ! (GB)
RépondreSupprimerBelle histyoire !
RépondreSupprimerSuperbe histoire et qui soutient l'intérêt jusqu'au bout; merci pour avoir partagé ça
RépondreSupprimerMerci pour cette belle histoire, qui soutient l'intérêt du lecteur jusqu'au bout. Un 'Patacesseur serait en somme un intercesseur entre la 'Pataphysique et le monde vulgaire?
RépondreSupprimerC 'est plutôt un prédécesseur
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