
J'apprends par la télévision qu'on a retiré récemment près de trente mètres cubes de déchets divers de la pièce d'eau des Suisses. Dire que j'ai toujours cru que c'étaient des gens propres !
Ric rac, sa faconde
Se farcira donc ça ?
Frac noir, cascade,
Son cri, ça cafarde.
J'ai passé ma jeunesse sous l'Occupation. J'ai été obligé d'abandonner mes études à un moment où on se faisait rafler trop facilement, je suis devenu typographe. Je me suis retrouvé déporté du travail dans un camp où j'ai réussi après un séjour d'un mois à Berlin à me faire rapatrier comme malade.
Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.
Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon,
Franck Martin |
Cette forme a été retrouvée dix fois avant lui, et en ce siècle par Dylan Thomas, Queneau et Jacques Réda (rimes ou mots-rimes).
Les photos de Cerisy-la-Salle étaient en ligne, celles de Pirou le sont aussi. Ces deux villages du Cotentin, proches de quelques kilomètres, sont pourtant distants de cent lieues. Dans le premier, un château qui vit la naissance de l’Oulipo, où se tiennent aujourd’hui des colloques de grande tenue, rassemblant des universitaires et des auteurs de tous pays. Dans le second, un presbytère modeste aux toilettes rustiques et au plancher jonché de mouches mortes, accueillant «Pirouésie», un mini festival familial qui tient du patronage, du stage d’écriture et de la cure plage-forêt-bulots-cidre. Moi qui ai vécu les deux événements en enfilade, je peux dire que les uns et les autres ne savent pas ce qu’ils ont perdu en n’en suivant qu’un. À Cerisy, les concepts volaient haut malgré le froid et la pluie, les débats étaient vifs. On se réchauffait le soir à la cave au calva, des amitiés se sont nouées, des projets ont vu le jour. À Pirou, il a fait beau, on s’est baigné, on a bronzé, on a bien rigolé, on a retrouvé les copains et on en a rencontré d’autres de tous âges et horizons. Les G. O. (Jacques Jouet, Robert Rapilly, Coraline Soulier et Martin Granger) étaient super, mais les textes produits pendant la semaine paraissent avec le recul bien ineptes. Sans doute le thème imposé (Falstaff, ça parle à peu de gens) ne se prêtait-il pas bien à l’exercice, le rythme forcené imposé par la nécessité de produire un spectacle à la fin (pour les subventions sans doute ?) n’était-il pas propice à la création, et les promenades-découvertes en forêt, au moulin ou au château de Pirou avaient-elles un petit goût de réchauffé de l’année dernière. Qu’importe ? Nous en avons profité quand-même. Martin nous a fait chanter à 4 voix, ce qui ne m’était pas arrivé depuis un bail, et j’ai eu la joie de voir Raoul faire ses premiers pas sur l’herbe du presbytère.
Sur le chemin du retour vers Paris, accompagnés de ML, nous avons fait escale chez AC qui nous attendait avec champagne et gâteaux secs, et nous a fait l’honneur de son extraordinaire bibliothèque.
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Colloque de Cerisy 2008 |
Un coup de pelleteuse malencontreux, et paf, l'abonné Numéricable se trouve à la fois privé d'Internet, de téléphone, et de télévision pendant une journée entière. Que faire alors de sa soirée, sinon lire un roman?
Par chance, M. avait rapporté Migraine, de Louise de Vilmorin, de la bibliothèque. Un des rares romans d'elle que nous n'eussions pas lu. (Cet imparfait du subjonctif est spécialement placé à l'attention d'A. C., fidèle lecteur de ce blog).
Malgré le titre, déjà ambigu en lui-même puisqu’il est à la fois celui du roman, celui de la pièce de théâtre qu’il raconte, et le nom de scène de l’artiste dont il est question dans le roman comme dans la pièce, l’héroïne véritable de Migraine n’est pas ce personnage d’actrice adulée et amoureuse, somme toute banal, mais bien la narratrice, fausse naïve et vraie manipulatrice, elle-même influencée par un mystérieux amant, philosophe à qui elle adresse son récit et attribue toutes les remarques intellectuelles qui le parsèment, jusqu’au mot de la fin (comme le fera Queneau avec Hubert Lubert dans le vol d’Icare, presque dix ans après. Queneau est d'ailleurs cité dans Migraine, à propos d'Exercices de Style).
Un célibataire jouisseur et fortuné, Sandro, s’éprend d’une actrice, Migraine, pendant une représentation de la pièce qui porte son nom. La narratrice, qui est à ses côtés, est témoin de ce coup de foudre et de sa coïncidence avec la jalousie qui s’empare de Sandro lorsqu’il voit Migraine embrasser sur scène un des acteurs, Vauvain. Elle lui reproche alors de confondre le théâtre et la vie.
— Vous ne comprenez pas que s’il n’y avait plus de Vauvain, il n’y aurait plus de pièce ?Mais est-ce Sandro qui mélange le théâtre et la vie, ou la rouerie de la narratrice qui se plaît à reproduire, dans le récit des aventures de ses proches, les péripéties de la pièce à laquelle ils ont assisté ?
Nous sommes au théâtre… et le théâtre ce n’est pas la vie.
— Moi, voyez-vous, je ne fais pas la différence
Bien vite en effet, deux autres personnages, amis ou parents de la narratrice, se trouvent à leur tour sous l’emprise de Migraine : Gustave, un veuf qu’elle a repoussé, et son frère René, fiancé à la fille de Gustave, Milie, qu’il souhaite rendre jalouse.
Comme par hasard, dans la pièce, le veuf Tautard en pince pour Migraine qui lui préfère Vauvain. Il est le père de Lolle, promise au jeune Le Thaine qui tourne lui aussi autour de Migraine pour faire enrager sa fiancée.
Ce qui confirme ces soupçons de rouerie, c’est que la narratrice, non contente de provoquer elle même la jeune Milie pour qu’elle pousse son fiancé dans les bras de sa rivale, finit par avouer ses affinités avec Migraine : comme elle, elle n’a pas su dire franchement non à son vieux soupirant Gustave, et l’a entretenu dans son illusion, par lâcheté. Dans la bouche du philosophe à qui elle adresse son récit, elle met d'ailleurs cette accusation qui montre bien quelle culpabilité pèse sur sa conscience :
Quand tu veux te voir, tu ne te regardes pas dans un miroir , mais tu te mets devant le portrait que tu viens de peindre de toi-même avec tes pinceaux d’excuses !
Car il s’agit bien d’un jeu de miroirs propre à donner la migraine. La virtuosité formelle de Louise de Vilmorin fait que pour un lecteur superficiel (ou victime de préjugés... ceci à l'attention de H. L. et de P. D. lecteurs occasionnels de ce blog), le roman pourrait passer pour une simple peinture de mœurs très années 50, une histoire d’amour qui tourne mal. Mais…
En lisant ce genre de récit, on est sans cesse sous l’impression que c’est le récit qui vous regarde
fait-elle dire à son philosophe décidément toujours absent et dont l’existence elle-même devient de plus en plus douteuse. La narratrice ne l’aurait-elle pas, lui aussi, inventé ? Ce philosophe, qui (se) réfléchit dans le cerveau de Louise de Vilmorin, ne serait-il pas le véritable auteur de cette intrigue si parfaitement construite ?
Quand je pense que sans ce pétage de câble, je n'aurais pas lu Migraine, j'en ai mal à la tête.
À quoi pensent les éditeurs ? Publier un « inédit » de jeunesse de Queneau, sans aucun appareil de notes, avec une préface indigente, alors que ce petit texte inachevé, intitulé Hazard et Fissile, contient déjà en germe une grande partie de l’œuvre future, à tel point qu’on pourrait croire à un pastiche ou à un plagiat par anticipation ! Il n’est d’ailleurs que de comparer les noms des personnages : Excelsior Mû ne fait-il pas penser à Valentin Brû ? Éléazard Hazard ou Florentin Rentin, ces noms qui riment, comme nomen omen, ne rappellent-ils pas Hubert Lubert, l’auteur véritable du Vol d’Icare ?
À propos du Vol d’Icare, Hazard et Fissile est lui aussi truffé de métalepses, ces « transgressions ludiques » au récit narratif que sont le clin d’œil au lecteur, l’intrusion de l’auteur dans le récit, etc. Voici un exemple hellénisant d’adresse au lecteur, page 56 : «Qu’attends-tu maintenant, lecteur à l’haleine tourmentée par les récits que tu viens de lire ? […] lecteur intelligent comme le verre filé,»… Page 69, après une hécatombe de personnages, l’auteur intervient : «Il faut remarquer qu’à ce moment, il ne reste que fort peu de personnages en scène et je suis obligé pour me désennuyer un peu de jeter dans la bagarre quelque autre bipède au teint blême.».
Page 47, le chapitre 11 détaille, sous forme de liste, les goûts et les compétences de Minoff, Fissile et Jim, lequel «parlait couramment le tabele, la tagalog, le tahitien, le vaita, le talaing, le tamil, le tangale, le tanna, le taungthu, le tavara, le taveta», de même que page 63, le chapitre 16 est presque entièrement constitué par l‘inventaire des poches d’Adrien et de Hazard. Des listes, il y en a des tonnes dans les œuvres de Queneau, depuis Le Chiendent au chapitre 4 duquel, Narcense lit les notules du Petit Écho de X… jusqu’aux Fleurs Bleues qui voit le « bon peuple » réciter des proverbes inventés, en passant par Les Derniers Jours où le chapitre 5 commence par la liste quotidienne des dépenses de Vincent Tuquedenne.
La fascination de Queneau pour le monde de la fête foraine se retrouve page 72, où les personnages se trouvent boulevard de Clichy : c’est la foire avec sa bizarre ménagerie, et pour le lecteur de Pierrot mon ami, elle évoque irrésistiblement L’Uni-Park.
Au fil de la lecture rapide de ce projet de roman inspiré de Fantomas, on s’amusera ainsi à relever toutes ces évocations, à apprécier les inventions stylistiques comme « mettre à nuit » pour mettre au jour pendant la nuit, les surprises comme «l’ayant écrasée entre le médius et l’annulaire» ou à noter les nombreux alexandrins qui parsèment le récit, comme «Hazard allait en tête et Fissile suivait», «Il salua Mitaine et s’en fut déjeuner», «N’avait-il pas coupé la gorge de son père », ou le plus beau à mon avis : «le nain jaune était vert comme un marais salant».
Raymond Queneau, Hazard et Fissile, le Dilettante, 92 pages, 12 €.
À l’heure où passe sur Arte un docu d’Isy Morgensztern sur Benny Lévy, et où l’on ne compte plus les bouquins sur 68 et la suite, pourquoi n’y irais-je pas moi aussi de mes petits souvenirs ?