En prévision de l’épreuve qu’il devait passer, l’homme décida de s’entraîner sérieusement et commença par arrêter de fumer. Sa collection de pipes, désormais inutile, fut léguée à l’une de ses filles qui la vendit à la braderie. Un sculpteur qui créait des formes inquiétantes à partir d’objets de récupération lui acheta le lot pour en faire des becs, des mentons, des doigts. S’il y en eut certains, dans la famille, pour regretter le parfum de miel et de figue du tabac anglais qu’il achetait fort cher, sa calme résolution suscita l’admiration de tous.
À quelque temps de là, il arrêta de boire, et le fit, comme pour le tabac, du jour au lendemain, sans difficulté apparente : plus une goutte d’alcool ne pénétra désormais dans sa gorge, et tant pis pour le porto 20 ans d’âge qu’il prisait fort jusque là. Comme il n’était pas le seul à l’apprécier, il reçut moins de visites à l’heure de l’apéritif. Aux repas, il remplaça le saint-joseph par de la grenadine au grand dégoût de ses commensaux mais ne s’en porta pas plus mal.
Puis, sans même prévenir sa femme qu’il emmenait chaque jour faire les courses au supermarché, il arrêta brusquement de conduire. L’épouse prit l’habitude d’aller faire ses emplettes quotidiennes à pied en tirant son chariot et ne revit plus la mer, la montagne, la ville. Lui non plus, ce qui ne semblait pas lui causer de souci. « Une quoi ? » demandait-il avec une certaine mauvaise foi lorsque quelqu’un prononçait devant lui le mot « voiture ».
Poursuivant son entraînement, il arrêta un jour de jouer aux échecs. Ce champion, qui avait joué contre les meilleurs et avait fait une nulle contre Larsen lui-même, battait régulièrement l’ordinateur dont il avait compris le fonctionnement et connaissait par cœur les parties célèbres et les ouvertures répertoriées. On ne s’étonna donc pas de sa décision, bien qu’il passât ordinairement à sa table d’échecs un temps considérable, concentré sur ses coups et sourd aux conversations. Ce temps fut désormais consacré à la lecture et à la télévision.
J’étais présente lorsqu’il arrêta le repas de midi. Il en fit part le jour même à son médecin, qui n’y trouva rien à redire dans la mesure où il continuait à petit déjeuner et à souper à peu près normalement, mais lui prescrivit tout de même un complément alimentaire protéiné qu’il devait prendre vers 16 heures.
L’arrêt du repas du soir suivit peu après et le petit-déjeuner fut abandonné lui aussi avec la même apparente indifférence. La date approchait maintenant, et l’entraînement devait s’intensifier.
Aussi, quand le jour de l’épreuve arriva, l’homme se sentit parfaitement préparé.
Et sans un mot, après un petit sourire, il arrêta de respirer.
EC
À quelque temps de là, il arrêta de boire, et le fit, comme pour le tabac, du jour au lendemain, sans difficulté apparente : plus une goutte d’alcool ne pénétra désormais dans sa gorge, et tant pis pour le porto 20 ans d’âge qu’il prisait fort jusque là. Comme il n’était pas le seul à l’apprécier, il reçut moins de visites à l’heure de l’apéritif. Aux repas, il remplaça le saint-joseph par de la grenadine au grand dégoût de ses commensaux mais ne s’en porta pas plus mal.
Puis, sans même prévenir sa femme qu’il emmenait chaque jour faire les courses au supermarché, il arrêta brusquement de conduire. L’épouse prit l’habitude d’aller faire ses emplettes quotidiennes à pied en tirant son chariot et ne revit plus la mer, la montagne, la ville. Lui non plus, ce qui ne semblait pas lui causer de souci. « Une quoi ? » demandait-il avec une certaine mauvaise foi lorsque quelqu’un prononçait devant lui le mot « voiture ».
Poursuivant son entraînement, il arrêta un jour de jouer aux échecs. Ce champion, qui avait joué contre les meilleurs et avait fait une nulle contre Larsen lui-même, battait régulièrement l’ordinateur dont il avait compris le fonctionnement et connaissait par cœur les parties célèbres et les ouvertures répertoriées. On ne s’étonna donc pas de sa décision, bien qu’il passât ordinairement à sa table d’échecs un temps considérable, concentré sur ses coups et sourd aux conversations. Ce temps fut désormais consacré à la lecture et à la télévision.
J’étais présente lorsqu’il arrêta le repas de midi. Il en fit part le jour même à son médecin, qui n’y trouva rien à redire dans la mesure où il continuait à petit déjeuner et à souper à peu près normalement, mais lui prescrivit tout de même un complément alimentaire protéiné qu’il devait prendre vers 16 heures.
L’arrêt du repas du soir suivit peu après et le petit-déjeuner fut abandonné lui aussi avec la même apparente indifférence. La date approchait maintenant, et l’entraînement devait s’intensifier.
Aussi, quand le jour de l’épreuve arriva, l’homme se sentit parfaitement préparé.
Et sans un mot, après un petit sourire, il arrêta de respirer.
EC
Message personnel.
RépondreSupprimerBonjour Babeth,
Désolé de te tutoyer et te "diminutiver" de la sorte, mais bien que je me demande si je t’ai jamais rencontrée j’ai le sentiment de vous connaître un peu. Car cela fait bientôt 46 ans que j’entends parler de vous, les enfants de Guy et de Vivette. De Guy mon parrain. Mon parrain si brillant, dont j’étais si fier. L’homme au rond-point, l’homme aux parties d’échecs, l’homme aux explications – non ! pas seulement aux explications, d’abord à l’émerveillement, la curiosité... même à propos de son corps lorsque lui jouait des tours. Car c’est d’abord cela que je vois en pensant à Guy, c’est à son sourire mi-candide mi-canaille, car il savait un peu plus que nous ce qu’il y avait derrière les choses et il était content de nous le faire partager. Et puis, je revois ses photos, aussi – même là c’était explications et émerveillement. Merci pour la photo que tu nous montre car c’est bien le Guy de ma mémoire que je vois là.
L’hiver dernier nous avions failli nous arrêter à Chabeuil, dont le nom a bercé mon enfance. J’avais eu en passant à Valence, une pensée pour toutes ces choses que les Deniélou ont laissées dans notre imaginaire : le chat Marguerite Long et la tortue Epéda Multispire – à moins que ce ne soit l’inverse – ; la nappe du pique-nique emmenée dans la cuisine tel un baluchon ; la photographie d’une odeur dans les couloirs de l’UTC, et bien sûr les échecs, et la musique ! Et Chabeuil, havre de paix et d’intelligence joyeuse.
Je ne sais si tu seras encore sur place lorsque tu me liras, puis-je te demander d’embrasser Vivette très chaleureusement, ainsi que tous les Denielou-Boyer de tout mon coeur ?
En te remerciant mille fois de m’avoir permis de lire de si jolie chose sur mon parrain.
Emmanuel
Emmanuel Tavernier – 2, chemin de Larriou ; 31820 PIBRAC ;Tel : 05.34.57.03.09 / 06.08.47.30.99