28 octobre 2016

Aurel, « moraliste de l'amour »



En plus des trente-huit chats, des vingt-deux chiens, et de la guenon qui s’entassaient dans sa maison de Fontenay-aux-Roses, Paul Léautaud y accueillait aussi une oie qu’il avait appelée Aurel.

Aurel, c’était le nom de plume d’Aurélie de Faucamberge, femme de lettres, mécène, protectrice des jeunes poètes, féministe revendiquée, épouse successive du peintre Cyrille Besset et du littérateur Alfred Mortier, suffisamment introduite dans les milieux littéraires pour fréquenter Max Jacob ou assister au banquet donné en l’honneur d’Apollinaire le 21 décembre 1916. 

Ses ouvrages aux titres évocateurs, comme Le Miracle de la chair, La Vierge involontaire, Les Jeux de la flamme, le Précis de l’ardeur, Pour en finir avec l’amant, l’Art d’aimer, loin d’être pornographiques, exposent au contraire une vision mystique du couple, imprégnée de religiosité, dans un style exalté, grandiloquent, et pour le moins surprenant quant à la syntaxe ou le vocabulaire.

Je ne citerai qu’une phrase : «Et trouver le secret de la vie ascensionnelle parce que simplement, on aurait le temps d’agir ce que l’on sait, au lieu de le savoir de façon post chronique, c'est-à-dire trop tard pour la santé.»

Celle qui se nommait elle-même «moraliste de l’amour», comme il est écrit sur sa tombe à Montmartre ou sur la plaque de la maison du XVIIe où elle tenait salon le jeudi, était devenue la bête noire de Léautaud. «Si bête sotte et prétentieuse qu’on la connaisse, une autre occasion se présente toujours de la découvrir encore plus bête et sotte et prétentieuse» écrit-il dans son Journal.



Il colportait des horreurs à son sujet. Par exemple que Jehan Rictus, déçu du repas que lui avait offert Alfred Mortier, s’était juré de se venger en le faisant cocu, mais qu’en voyant Aurel, il y avait renoncé en disant « impossible, imbaisable ». 


Il raconte aussi l’avoir piégée en pénétrant, déguisé, à son salon du jeudi, qu’il décrit dans un article cruel comme une assemblée d’inconnus, présidés par une «morte profanée». Ce mot lui valut un coup de poing d’Alfred Mortier. Comme Aurel s’intéressait aux jeunes poètes et aux poètes morts à la guerre, il l’appelait aussi La Femme à bardes et La Mère Lachaise.

Le salon d'Aurel ou La nulle s'adore (anagramme)

Vu la légendaire misogynie de Léautaud, il est important de vérifier si son jugement était personnel ou partagé. Or il n’était pas le seul ! Breton et Desnos, à un banquet présidé par Aurel, interrompirent son discours en disant «Ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on doit emmerder les gens toute sa vie». Robert Desnos, à qui elle avait dédicacé un exemplaire de son Rodin devant la femme, le lui renvoya barré d’un gigantesque «Merde!». Mais les surréalistes était aussi misogynes, n’est-ce pas ? Alors cherchons du côté des femmes.


La féministe Gabrielle Réval, dans La Chaîne des dames, se montre moins grossière mais tout aussi dure : Aurel mène une «croisade mystique pour la délivrance de la chair et de l’esprit de la femme avant l'union» mais ses détracteurs «refusent qu'on les moralise quand ils sont en joie, ni qu'on apprenne à leurs petites amies qu'il faut philosopher avant de faire un enfant !». «Je vous demande un peu s'il est nécessaire de compliquer une chose aussi simple que de faire l'amour avec celle qu'on aime». Bref Aurel «profère de telles sottises, de telles malignités, de telles niaiseries» qu’il vaut mieux «laisser les ânes braire».

Gabrielle Réval

La réponse d’Aurel à Gabrielle Réval, publiée dans le même ouvrage, donne un nouvel exemple de son style : «Parce que je tends à nous rendre la mise en ordre de l'âme tandis que l'homme a mis l'esprit en ordre, parce que je cherche les lois de la logique féminine pour soutenir la logique virile, il ne faudrait peut-être pas continuer à me traiter en bon brouillon illuminé sous peine de se charger d'un comique un peu lourd au regard des gens qui lisent de près

Lucie Delarue Mardrus

Lucie Delarue Mardrus, son amie fidèle, prend héroïquement sa défense dans un article de l’Archer de Toulouse mais le double sens — involontaire ? — de son texte l’enfonce en réalité : 

«La bravoure d'Aurel, manifestée sous tant de formes, ne va jamais aussi loin qu'en ceci : elle ne craint pas le ridicule.» 

«Aurel, prophète qui crie dans le désert, emploie […] la méthode qu'il faut, quand elle dépasse la mesure comme elle ne cesse de le faire. […] Les obscurités voulues, chéries, dont elle hérisse son style, […], sont l'équivalent du latin des prières répétées sans les comprendre par le commun des fidèles, moyen le plus sûr d'atteindre la divinité, laquelle ne tient pas, au fond, à être si précise que ça.» 

«Enfermée dans ses principes comme dans un parc de fils de fer barbelés, elle reste inadaptée, inadaptable, incorrigible.»

Aurel


Seul André Billy nous laisse entrevoir, dans L’Époque contemporaine, une explication plausible — sinon une excuse — au comportement d’Aurel : elle se serait donné une contenance ressemblant à de la prétention… parce qu’elle n’entendait pas bien ce qu’on disait autour d’elle !

La vérité c’est qu’en plus d’être rébarbative, ridicule, imbaisable, d’écrire comme un cochon, d’être dénuée du moindre humour, de faire la morale aux autres et de se fâcher avec tout le monde, Aurel était sourde comme un pot !

Aurel (montage E.C.)

E. C.

4 commentaires:

  1. Très intéressant article. Aurel de se perdre...

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    1. Merci ! Oui, l'écrire comportait un risque, car j'avais entrepris cette recherche par hasard et par curiosité, sans soupçonner à quel point cette femme était nulle en tant qu'écrivain...

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  2. C'était une sorte de Mme Verdurin, si j'ai bien suivi les commentaires de la salle: intéressante surtout par les artistes et écrivains qu'elle a aidés.
    En tout cas bravo, toujours aussi concise et dans les temps !

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  3. Bref, elle était dure d'orelle !

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