(Contre l'abus de l'infinitif dans une certaine poésie actuelle.)
Avoir enfin trouvé le moyen de « faire
poétique »…
S’éloigner pour cela de l’indicatif
prosaïque et banlieusard.
Écrire en évitant ce mode
vulgairement réel : s’absenter de son présent matériel et grossier, refuser
son futur volontariste aux accents obligatoires, faire table rase de ses
passés.
S’autoriser quelques gérondifs, comme
au début de la phrase précédente, mais avec parcimonie.
S’interdire absolument la
violence de l’impératif, insupportable aux oreilles modernes, citoyennes et démocratiques.
Dédaigner, bien évidemment, le
subjonctif à l’emphase démodée.
L’écarter d’un revers de plume
pour ne pas mourir de ridicule en ayant l’air d’un puriste.
De même, se méfier comme de la
peste des élans romantiques et adolescents du conditionnel.
Vider, sans s’en apercevoir, le
bébé de l’irréel avec l’eau du bain de ce mode ancien.
Rester près du corps… Vivre en
dehors du temps… Voir Venise et mourir…
N’utiliser que l’infinitif… Se
cantonner à l’infinitif… Exploiter l’infinitif…
Ça être tellement commode
l’infinitif…
Se donner l’illusion, par
l’emploi d’un mode impersonnel et l’évitement des pronoms, de ne pas parler de
soi. Ne faire en réalité que ça.
Étaler ses sentiments tout en
gardant l’air pudique… Laisser entendre avec un air entendu… Prendre des
pincettes rougissantes... Bassiner le monde avec ce rythme répétitif... Choisir
des phrases courtes et les hacher… Parsemer de quelques points de suspension
pour l’aura de mystère…
Penser à éviter le style recette
de cuisine, être certain d’y être parvenu.
Se croire original en plus.
Se relire… s’attendrir… semer le
résultat sur les réseaux sociaux, comme avec réticence.
Attendre les hommages.
À leur arrivée, se rengorger.
Et bien, j'aime beaucoup cette réflexion sur l'infinitif comme manière de se retrancher du réel sans avoir l'air d'y toucher.
RépondreSupprimerC'est salutaire !
Il faudra que je pense à faire une réflexion du même genre sur le passif pour montrer qu'il y a bien de l'actif dans le passif !!!!
Intéressant.... Je reprendrai votre note dans le blog des correcteurs du Monde.fr
RépondreSupprimerhttp://correcteurs.blog.lemonde.fr/
Merci de cette appréciation et de la reprise. Je connais bien votre blog que j'aime beaucoup.
Supprimer(quand-même):
RépondreSupprimerAimer à perdre la raison
Aimer à n'en savoir que dire
À n'avoir que toi d'horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la douleur du partir
Aimer à perdre la raison
Justement ! Très bon exemple... Je déteste !!
RépondreSupprimerWhether or not we may be, that is the question!
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