Pascal Goblot derrière la cinquième réplique du Grand Verre dévoilée hier |
La Mariée mise à nu par ses célibataires, même, encore appelée Le Grand Verre, est l’œuvre la plus mystérieuse de Marcel Duchamp et l'on comprend qu’elle obsède Pascal Goblot, vidéaste et documentariste, au point qu’il y consacre son art depuis une quinzaine d’années. Elle a fait l’objet de multiples interprétations dont certaines sont saugrenues mais aucune pleinement satisfaisante. Elle est en tout cas, et bien que contemporaine des Ready made, le fruit d’un très long et minutieux travail préparatoire de Duchamp, comme en témoigne l’étrange Boîte verte. Car La Boîte verte contient l’ensemble des notes préparatoires au Grand Verre. Elle a été éditée par Duchamp lui-même en 300 exemplaires fac-similé, dont le fameux exemplaire no 4 appartenant à François Le Lionnais. C'était le sujet de la communication d’Olivier Salon au dernier Colloque des Invalides.
Une des Boîtes vertes, exposée au musée de Philadelphie (image du film The Unknown Secret of Sylvester Stallone.) |
Les deux petits films présentés hier soir dans la salle de conférence du Palais des Beaux-Arts sont si l'on peut dire sortis de la « boîte verte » personnelle de Pascal Goblot : ils font en effet partie du long travail préparatoire de La Légende du Grand Verre, œuvre qui comprendra un long métrage (Le Piège de la Mariée) ainsi qu'une performance artistique (To Be Broken) et dont le but avoué est « de décrire la quête de cette inexistante vérité » cachée dans le Grand Verre de Duchamp.
Le premier film se présente comme un documentaire décrivant l’arrivée et l’installation à Beaubourg de la quatrième réplique de La Mariée mise à nue par ses célibataires, même. Comme l’explique Pascal Goblot, il existe quatre répliques autorisées du Grand Verre dont deux copies conformes approuvées par Duchamp lui-même. Celle du Moderna Museet de Stockholm, réalisée par Ulf Linde en 1961 et celle de la Tate Gallery à Londres, réalisée par Richard Hamilton en 1965. Comme la première a été « légèrement ébréchée » en 1977 lors d’un prêt au centre Georges Pompidou, elle ne circule plus ; la deuxième a dû être refaite, le verre ayant éclaté. La troisième réplique, avalisée par la seconde épouse de Duchamp, « Teeny », se trouve aujourd’hui dans un musée de Tokyo. La quatrième a été construite par Ulf Linde en 1991, elle est « spécialement destinée aux expositions temporaires ». C’est elle qu’on voit dans ce documentaire.
Le basculement de la copie n°4 |
Elle arrive au Centre Georges Pompidou dans deux caisses en bois bien closes et vissées. Les deux pièces de verre sont délicatement saisies par des mains gantées de blanc, comme pour un livre de bibliophilie, puis sont fixées, d’abord horizontalement, sur une armature en bois. L’ensemble est ensuite précautionneusement basculé à la verticale, six personnes levant les montants, une autre abaissant la base posée sur un chariot élévateur. Une protection en plastique, soigneusement nettoyée au préalable, est ajoutée au cadre. Puis l’ensemble, toujours sur le chariot, est positionné dans la salle au cours d’une sorte de curieux ballet : deux personnes maintiennent le cadre, un troisième tire le chariot, un quatrième s’agite autour, une cinquième regarde la scène. La musique évoque le verre et le métal, c’est exactement ce qu’il faut.
Un morceau de l'original du Grand Verre, au Philadelphia Museum of Art |
Le second court-métrage est une mise en scène ou une fictionnalisation de l’énigme que constitue Le Grand Verre. Cela se passe au Philadelphia Museum of Art, qui a une salle dédiée à Marcel Duchamp contenant l'original très abîmé de l'œuvre. Les escaliers du musée, appelés depuis Rocky Steps, furent le théâtre d'une scène culte du film de Sylvester Stallone, Rocky, en 1976. L'histoire du film de Pascal Goblot est simple : chargé par Sylvester Stallone (an art lover !) de guetter le moment où un visiteur lui donnera la solution de l’énigme du Grand Verre, John Wagner, le gardien du musée attend trente ans en vain. Quand enfin une visiteuse la lui révèle, il ne peut plus joindre l'acteur. D’où le titre The Unknown Secret of Sylvester Stallone. C'est le prétexte à montrer abondamment Le Grand Verre brisé. La caméra s’attarde sur les dessins formés par les brisures, qui semblent partie intégrante de l'œuvre. Le contenu de la boîte verte est brièvement évoqué. Le film, de 2009, est dédié à Jean Suquet. Il dure quinze minutes. La voix off parle anglais, mais il est sous-titré en français. Sa musique est signée d'un compositeur qui n'a certainement pas été choisi au hasard puisqu'il s'appelle Philip... Glass !
Dévoilement du Grand Verre n°5 à droite, les auteurs |
Après de chaleureux applaudissements, les spectateurs étaient invités à descendre dans la salle de dessin, où fut dévoilée une cinquième réplique, réalisée à l'identique, de La Mariée mise à nu. C'est la première étape de la performance To Be Broken, et le fruit d'un workshop animé par Pascal Goblot à l'École Nationale Supérieure des Beaux Arts, avec de jeunes artistes : Camille Le Chatelier, Caroline Corbasson, Nathanaelle Herbelin, Alexander Sebag, Ugo Shildge et Florian Viel. Il ne manquait plus, après cette cérémonie, qu'un petit verre pour célébrer le Grand, ce qui fut fait dans la foulée.
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