Le 14e colloque des Invalides se tenait vendredi dernier au Centre culturel canadien, sur le thème Films et plumes. Vous connaissez la contrainte ? Cinq minutes, pas une de plus, par intervenant. Cette forme inhabituelle a pour effet de rendre le colloque toujours passionnant, parce qu'on n'a jamais le temps de s'y emmerder.
Certes, il est des universitaires qui ont du mal à changer leur rythme habituel et qui, perdus dans leur idée, ne voient pas s'avancer, inexorable, celui qui leur coupera le sifflet par ces mots sans pitié : «la suite dans les Actes!» La salle rigole et le pauvre orateur le prend plutôt bien, de toutes façons c'est chaque année son problème.
C'est Alain Chevrier qui a démarré cette année, et tout essoufflé par l'effort qu'il avait dû fournir pour arriver à l'heure de sa province, il a débité dans les temps impartis son texte Cinépoésie sur les poètes et le cinéma, conviant successivement et sans respirer Apollinaire, Soupault, Aragon, Cendrars, Desnos, Péret, Prévert, Cocteau, Michaux, Isou, Queneau (Ah! le chant du Styrène...), Grangaud, Gleize, Alféri, et Baetens.
Daniel Zinszner lui a succédé, évoquant le professeur Frœppel (oui, celui de Tardieu), pour suggérer la création d'un indice ϰ (kappa) de cinématographitude des textes, destiné à mesurer leur capacité à produire des images mouvantes. Sur cette échelle de 1 à 10, le sonnet en X de Mallarmé aurait un ϰ de 0,76 alors que Les Trois mousquetaires flirteraient avec le 9,99.
Marc Décimo, qui a un don pour dénicher les choses curieuses, a enchaîné sur Michel Bréal au cinéma, montrant à l'écran de délicieux petits films d'époque, muets bien entendu, dont une conférence, désopilante à regarder, du fameux linguiste dont on adore les yeux malins.
Avec Paul Schneebeli, on a abordé sous le titre Imperia et Tue-la-Mort le domaine passionnant du cinéroman des années 1904 à 1935, et des rapports marketing étroits entre films et journaux de feuilletons comme le petit Parisien, dont le tirage, ainsi attisé par le cinéma, put atteindre 1 million d'exemplaires par jour.
Claude Makowski a ensuite abordé la Physique du film, d'abord avec le nitrate de cellulose qui brûlait bien dans les incendies, puis avec l'acétate de cellulose, pas plus durable et puant l'acide acétique, pour s'inquiéter de l'avenir des supports numériques actuels.
Christophe Bourseiller a évoqué en Debord Celui qui tourne et détourne, finalement rattrapé par le Beau comme en témoignaient les magnifiques extraits qu'il nous a passés.
Françoise Gaillard nous a révélé les films de cul que Flaubert se projetait dans sa tête (c'est à dire dans ses avant-textes), et notamment à propos de Salammbô, qualifié par lui-même de « baisade sous le péplos ». Comme je sors de l'expo Gérôme, je comprends mieux.
J'attendais après la pause café Alain Zalmanski, qui chaque année s'attache à détourner le sujet et qui cette fois nous a montré une liste d'images de films dont le titre contenait le mot « plume », depuis Plumes de cheval des Marx Brothers jusqu'à certaine Plume perverse classée dans le « charme ».
Henri Béhar, grand spécialiste du surréalisme, avait préparé une étude sur Roger Vitrac, le retour de manivelle. Il a été coupé par le gong des 5 min, mais a pu citer un de ses dialogues dont je me rappelle ceci : « je méprise l'argent, alors il se froisse ».
Avec Pascal Durand c'est Mallarmé qui déclare à propos d'un projet de livre illustré : « je suis pour — aucune illustration. Mais si vous employez la photographie, que n'allez vous droit au cinématographe ? ».
Anne-Violaine Houcke a enchaîné avec Pasolini ad bivium, montrant le dynamitage méthodique du classicisme grec par le cinéaste du trivial au sens propre (le carrefour des trois voies où se tient la prostituée).
Jean Vallier a poursuivi avec les rapports entre Losey et Duras (leur correspondance est conservée à Londres) et les échecs successifs de leurs tentatives de collaboration.
Dominique Noguez s'est ensuite moqué des écrivains coincés, méfiants, coquins et givrés face au cinéma, qu'ils condamnent a priori (Duhamel), ou dans lequel ils voient une émanation de la plus basse humanité (France). Sans parler de Suarès qui parle d'un art de singe. Alain et Proust restent réservés. Aragon, Picabia, Desnos et même Colette feront basculer la culture du côté du nouvel art.
À la table du déjeuner, partagée avec mon amie Sophie et Philippe Didion, j'ai appris de ce dernier une récidive en plagiat de « gîte pour clébard », hin hin hin, qui m'a honteusement réjouie (1).
Un peu alourdis par le confit de canard aux pommes sarladaises, nous avons écouté Yves Thomas nous parler de Louis Feuillade et de Paris aux pieds de Fantômas.
Puis Marc Dachy nous a montré un étonnant film de Man Ray, monté en catastrophe à partir de pellicules impressionnées directement par l'ombre d'objets éclairés (sans que les objets la touchent), et de séquences de vraies images filmées à la caméra.
Maurice Culot a parlé des rapports de Marcel Lherbier avec Georgette Leblanc, 54 ans, la sœur de Maurice et l'égérie de Maeterlinck, dont il s'éprend à 26 ans alors qu'il sort avec sa nièce, tout en étant homosexuel, enfin je n'ai pas tout compris.
Olivier Salon a assumé totalement et sans vergogne aucune son hors sujet en nous offrant un beau présent plutôt coquin sur les lettres de Films et Plumes, intitulé Les sept mille puits. Genre « le lit est le lieu usité, le slip étui fesse et festif etc.»
Bernard Girard a parlé du ciméma lettriste et des cinéastes lettristes. Mais j'ai eu comme une baisse d'attention, là.
Jean-Michel Durafour a nettoyé de façon salutaire quelques malentendus sur Kafka vu uniquement comme victime de la bureaucratie, en montrant qu'il allait au ciné comme à la noce, lisait Paul Bourget, allait au bordel comme tout le monde et écrivait aussi des trucs pornos.
Crevée par une récente opération et les médicaments y attenant, j'ai failli partir à la pause café mais j'ai bien fait de rester.
C'est Rohmer qui a repris le marathon avec Noël Herpe. Rohmer écrivain ? Ou Rohmer adaptateur d'œuvres littéraires qu'il respecte à la lettre comme la Marquise d'Ô, Perceval le Gallois, l'Astrée. On regrette qu'il n'ait pas mené à bien son projet des Petites filles modèles.
Alice d'Andigné a mené tambour battant son intervention en 5 min pile sur le thème Plus c'est court moins c'est long et s'est interrogée sur les standards de durée, observant qu'avant ces standards le cinéma prenait les œuvres à bras le corps.
Sima Godfrey, toujours brillante, a orienté son intervention sur les Indiens de cinéma et leurs coiffes de plumes, que la plupart des vrais Indiens, sauf les Sioux, n'ont jamais portée. Ou comment grâce au cinéma, l'Indien en est réduit à des plumes.
À tout seigneur tout honneur, le mot de conclusion est revenu à Nelly Kaplan, en pleine forme, avant une table ronde et rondement menée comme le reste, où l'on a beaucoup parlé de Proust, de ses critiques contre le cinéma et de sa lanterne magique.
La suite dans les Actes ! Ils seront publiés, comme les précédents, aux éditions du Lérot, 16140 Tusson.
(1) Extrait des Notules dominicales de Culture domestique de Philippe Didion : En feuilletant Livres Hebdo : Découvert dans la page "Annonces classées", sous la rubrique "Divers" : "Dans L'odyssée Cendrars (Ecriture, 2010, pp. 190-192) M. Patrice Delbourg a utilisé un long passage de l'article de M. Jérôme Meizoz "Blaise Cendrars antisémite" (Le Courrier, Genève, 5 avril 2007), sans le créditer. Le présent avis tient lieu d'accord entre les parties." Ce n'est pas la première fois que l'intéressé, qui aime tant les calembours qu'on a du mal à ne pas le surnommer Patriche Delbourg, se fait prendre les doigts dans le pot de confiture.
Une journée étonnante de richesse(s).
RépondreSupprimerJe ne connaissais pas, merci d'en avoir rendu compte.
La brièveté des interventions donne certainement un rythme qui permet à l'attention de ne pas se relâcher ... surtout après un confit de canard aux pommes sarladaises.
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RépondreSupprimerÉtincelants comptes rendus, j'ai les yeux qui papillotent.
RépondreSupprimerEditions du Lérot, bon.
Merci !
MZ