21 mars 2014

Pas l'aviateur, l'autre

L'Opéra Royal du Château de Versailles
De tous les André Japy qui ont existé en ce monde, seuls deux ont eu l'honneur d'une page Wikipédia : l’aviateur enterré au cimetière de Passy, répertorié sur le site de Philippe Landru, abondamment pourvu en photos par Google Images, et l’autre. 
Tombe d'André Japy

L’autre était l'architecte en chef de la restauration du château de Versailles, comme on peut le lire sur sa tombe du cimetière des Batignolles (sépulture J. de Bourgogne). Sa page Wikipedia, qui ignore sa date de naissance et se goure sur celle de sa mort, relate sa carrière au Service des Bâtiments civils et palais nationaux, depuis son prix de Rome jusqu’à son chef d’œuvre absolu, la réhabilitation de l’Opéra Royal, une merveille inaugurée par René Coty devant qui furent données Les Indes Galantes de Rameau. Entre ces deux exploits, il y aura eu en 1923 le monument aux morts de Montdidier, hybride imposant d'obélisque et de pyramide supporté par deux poilus, mâles cariatides signées par le sculpteur amiénois Albert Auguste Roze, et l’École supérieure du Génie Rural, avenue du Maine, aujourd'hui ENGREF ou AgroParisTech, bien dans le style des années 40.

Le monument aux morts de Montdidier et AgroParisTech

Mais il y a autre chose à mettre au crédit de notre architecte : quelque chose de plus étonnant, et de plus difficile à découvrir. Il faut remonter pour cela à la veille des années 30, quand Paris commence déjà à être engorgée par la circulation ; l'on décide alors de créer une voie rapide à l'ouest — la première autoroute française ! — et de percer pour cela un tunnel, le tunnel de Saint-Cloud, ce qui ne sera fait qu'en 1939. Devinez qui est chargé du projet ? André Japy bien sûr !


Et il s'exécute consciencieusement, le pauvre. Pourquoi dis-je le pauvre ? Parce que, tout imprégné qu'il est du château de Versailles et des magnifiques jardins de Le Nôtre, j'imagine sa douleur et ses scrupules devant l'obligation qu'il a de défigurer ceux du parc du château de Saint-Cloud, dessinés par le même Le Nôtre ! En effet, le tracé de l'autoroute doit passer juste au dessous du jardin à l'anglaise du Trocadéro, il va y avoir des dégâts. Partagé entre son devoir d'état et son penchant pour l'équilibre, la symétrie, l'harmonie, cisaillé entre son métier d'urbaniste du XXe siècle et sa culture du XVIIe siècle, il est vraiment à plaindre, André Japy. Va-t-il finir schizophrène ? Pas du tout, car il a une idée de génie pour camoufler le mieux possible l'entrée sinistre du tunnel : faire ce qu'aurait sans doute fait à sa place le premier jardinier du Roi, bref aménager le terrain à la manière de Le Nôtre.

À gauche, le nord-est du parc dessiné par Le Nôtre. À droite, une
vue Google Earth du même endroit aujourd'hui. On distingue l'esplanade
du nymphée d'Apollon avec ses deux bassins, à l'entrée du tunnel.

Celui qui se balade dans le parc aujourd'hui, et flâne avec plaisir, malgré le bruit de fond, sur l'esplanade du nymphée d'Apollon, au dessus de l'entrée de l'autoroute, se rend-il compte que c'est là l'œuvre d'André Japy, et non celle de Le Nôtre qui aurait été déplacée à cause des travaux ? Certainement pas, car c'est un endroit charmant, très louis-quatorzième, dans lequel on n'a aucun mal à imaginer quelques précieuses à éventails et robes à paniers se laissant conter des galanteries par de jolis marquis à rubans...

Le nymphée d'Apollon

Rien n'y manque : ni les bassins, ni les statues, ni les gradins, ni les pelouses, ni les escaliers symétriques, ni les balustres, ni la vue : ce nymphée est le plus joli pastiche du monde. Vraiment, Le Nôtre n'a pas fait qu'inspirer Japy, on croirait qu'il a guidé sa main pour en tracer les plans ! 

Alors, pour cet affreux tunnel de Saint-Cloud, triste, noir et puant, on veut bien l'excuser, allez, André Japy.


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