29 juin 2008

Popolôrepô


Paul Poiret, imbécile célèbre pour avoir «libéré la femme» en créant des robes qui rendaient le corset inutile, ne limitait pas son talent de styliste à la seule couture : la preuve, cette trentaine de merveilleux exercices calligraphico typographiques construits sur des virelangues comme celui-ci: «amir/amar/lamer/mar/iami/amar
/inéin/omar»
(à Miramar, la mère Marie a mis à mariner un homard),
qui forment pour le lecteur autant de rébus ravissants, dans le style art déco.
Les aquarelles de Pierre Fau (l'autre imbécile) qui les accompagnent s'attachent, elles, à illustrer le sens de ces phrases insensées, comme pour donner un indice au lecteur, tout en en accentuant le côté absurde.
Le livre reprend la couverture initiale de l'édition de 1927 (Joncquières) tirée à seulement 300 exemplaires, qui était devenue un livre culte.
Popolôrepô, morceaux choisis par un imbécile et illustrés par un autre,
Michel Chandeigne éditions, octobre 2007, 64 pages, 16,15€. Ne vous en privez pas !

26 juin 2008

Procrastination
















Je me rends compte avec horreur que je n'ai rien posté depuis le 2 juin.
Un coucher de soleil pour me faire pardonner, et cette petite histoire vraie.
Je déjeunais vers midi 30 aujourd'hui avec B. qui me confiait qu'elle avait besoin de vacances : doutes, fatigue, manque de motivation, je connais bien ça.
— Tu fais de la procrastination, lui dis-je.
— De la quoi ?
Je le lui explique.
— Mais c'est exactement ça dont je souffre, me répond-elle. D'ailleurs, j'ai acheté un bouquin sur la question. Mais je suis tellement fatiguée que j'en ai remis la lecture à plus tard.

02 juin 2008

Dilettante


À quoi pensent les éditeurs ? Publier un « inédit » de jeunesse de Queneau, sans aucun appareil de notes, avec une préface indigente, alors que ce petit texte inachevé, intitulé Hazard et Fissile, contient déjà en germe une grande partie de l’œuvre future, à tel point qu’on pourrait croire à un pastiche ou à un plagiat par anticipation ! Il n’est d’ailleurs que de comparer les noms des personnages : Excelsior Mû ne fait-il pas penser à Valentin Brû ? Éléazard Hazard ou Florentin Rentin, ces noms qui riment, comme nomen omen, ne rappellent-ils pas Hubert Lubert, l’auteur véritable du Vol d’Icare ?

À propos du Vol d’Icare, Hazard et Fissile est lui aussi truffé de métalepses, ces « transgressions ludiques » au récit narratif que sont le clin d’œil au lecteur, l’intrusion de l’auteur dans le récit, etc. Voici un exemple hellénisant d’adresse au lecteur, page 56 : «Qu’attends-tu maintenant, lecteur à l’haleine tourmentée par les récits que tu viens de lire ? […] lecteur intelligent comme le verre filé,»… Page 69, après une hécatombe de personnages, l’auteur intervient : «Il faut remarquer qu’à ce moment, il ne reste que fort peu de personnages en scène et je suis obligé pour me désennuyer un peu de jeter dans la bagarre quelque autre bipède au teint blême.».

Page 47, le chapitre 11 détaille, sous forme de liste, les goûts et les compétences de Minoff, Fissile et Jim, lequel «parlait couramment le tabele, la tagalog, le tahitien, le vaita, le talaing, le tamil, le tangale, le tanna, le taungthu, le tavara, le taveta», de même que page 63, le chapitre 16 est presque entièrement constitué par l‘inventaire des poches d’Adrien et de Hazard. Des listes, il y en a des tonnes dans les œuvres de Queneau, depuis Le Chiendent au chapitre 4 duquel, Narcense lit les notules du Petit Écho de X… jusqu’aux Fleurs Bleues qui voit le « bon peuple » réciter des proverbes inventés, en passant par Les Derniers Jours où le chapitre 5 commence par la liste quotidienne des dépenses de Vincent Tuquedenne.

La fascination de Queneau pour le monde de la fête foraine se retrouve page 72, où les personnages se trouvent boulevard de Clichy : c’est la foire avec sa bizarre ménagerie, et pour le lecteur de Pierrot mon ami, elle évoque irrésistiblement L’Uni-Park.

Au fil de la lecture rapide de ce projet de roman inspiré de Fantomas, on s’amusera ainsi à relever toutes ces évocations, à apprécier les inventions stylistiques comme « mettre à nuit » pour mettre au jour pendant la nuit, les surprises comme «l’ayant écrasée entre le médius et l’annulaire» ou à noter les nombreux alexandrins qui parsèment le récit, comme «Hazard allait en tête et Fissile suivait», «Il salua Mitaine et s’en fut déjeuner», «N’avait-il pas coupé la gorge de son père », ou le plus beau à mon avis : «le nain jaune était vert comme un marais salant».

Raymond Queneau, Hazard et Fissile, le Dilettante, 92 pages, 12 €.