C'est un peu avant Noël, un repas arménien chez l'arrière grand-mère de Raoul. Autour d'elle, à table, sa fille aînée (moi en l'occurrence) avec M., son petit fils Martin avec Y. et leurs deux enfants Raoul et Piero, le père de Y.et sa compagne. Nous attaquons, avec un excellent chablis, les pois chiches au sésame, la salade de poivrons hachés à la mélasse de grenade et aux noix, les calamars frits et les haricots à la tomate, que nous avons trouvés à l'épicerie arménienne Saint Georges de Valence. Raoul, deux ans et demi, qui dévore son houmous, annonce soudain d'une voix claire et sans affect, sur le ton du simple constat :
— « il manque Guy. »
Conscient de la stupeur qu'ont provoquée ces simples mots sur son père, sa grand-mère et son aïeule, qui se demandent s'ils ont bien entendu et compris, il répète et précise, sur le même ton :
— « il manque Guy, sur une chaise là. »
Du doigt, il montre la place où mon père, son arrière-grand-père, n'aurait pas manqué de s'asseoir s'il n'était pas mort il y a un an à quelques jours près. Raoul n'a pas vu les larmes simultanées de ses trois ascendants.