14 mars 2014

Le collectionneur

Un char Renault
(cliquer pour agrandir)
C'est une tombe de granit ordinaire dans le cimetière des Batignolles, avec son crucifix horizontal au christ vert de gris. Mais, à côté de ce crucifix, une plaque soudain m'interpelle et même m'interloque. Je me frotte les yeux, ce n'est pas une hallucination : un engin de guerre blindé, un gros char de la marque Renault, y est finement gravé avec ces mots : 
                    Pour Toi ce Char / La Passion de Ta Vie.

Certes, je vois bien qu'un colonel Aubry est ici enseveli, mais tout de même... j'ose espérer qu’il ne s’attendait pas, le pauvre, en passant l’arme à gauche, à retrouver son régiment de blindés dans l’au-delà! Et puis un cimetière, franchement, ce n'est pas l'endroit, n'est-ce pas! Pourquoi pas, tiens, pendant qu’on y est, une plaque avec
Au Paradis un Char l’Attend
ou Tu as enfin Arrêté Ton Char
ou Tank je Vivrai, Ton Souvenir en Moi Restera ?
Ce bref moment de rigolade (qu'on veuille bien me le pardonner) s’étant dissipé, il m'apparaît de plus en plus évident, en y réfléchissant un peu, qu’un être sensé n’aurait jamais gravé cela dans le marbre sans une puissante raison.

Photo du site de Gilles Primout sur la libération de Paris
On la trouve en effet, cette raison, dans l’histoire du jeune capitaine des FFI, Michel Aubry, dix-neuf ans à peine, qui dans l’euphorie de la libération prend possession d’un char allemand. La photo de cet événement se trouve sur l'excellent site de Gilles Primout consacré à la libération de Paris. Étonnante photo! On voit au premier plan sa prise de guerre. C’est un petit char, certes, il n’a même pas de tourelle, on appelle ça une chenillette, mais c’est Le Char de sa vie, et le voilà qui se l'approprie, qui l'escalade, l’arme à la main, sous les regards respectueux et admiratifs de ses hommes, conscients de la portée historique de son acte. Une joie extatique illumine son visage. Ça y est, c’est fait, c’est le plus bel instant de sa vie, il a attrapé le virus, désormais tout ce qu’il entreprendra n’aura pour seul but que de faire revivre ce suprême moment de bonheur, le voilà devenu collectionneur de chars.

Prospectus du
Musée des Blindés
Il restera pour cela dans l’armée où il fera carrière jusqu'à devenir colonel, mais c’est en 1971, alors qu’il est commandant, qu’il parvient à être nommé directeur du centre de documentation sur les engins blindés à Saumur. Avec l’aide d'une bande de passionnés comme lui, il se renseigne sur les épaves d'engins repérées ici ou là, n’hésitant pas s’il le faut à les retirer du fond d'un étang, comme à Parroy, près de Chenevières (voir ce lien), s’attachant à les remettre en état, et enrichissant ainsi le musée des blindés de Saumur, qui de dix pièces en 1970, en atteint déjà cent cinquante en 1975. À sa mort en 1994, c’est plus de huit cents véhicules, dont deux cents en parfait état de marche, qui sont visibles par le public dans ce musée dont il était devenu le conservateur.

Alors oui, la plaque avait une raison profonde d'être sur sa tombe.

4 commentaires:

  1. Trop joli, Dommage les photos ne montent pas… ni en petit ni en grand… sauf celle du site de GP, peut-être besoin de transformer l'encodage png -> jpeg?

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    1. Merci Jacques. Mais je ne comprends pas l'allusion aux photos. Celles que j'ai prises sont en Jpeg, et j'y vois parfaitement quand je clique dessus. Celle de GP est un lien vers son site. Que vois-tu exactement ?

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    2. ce matin je vois tout bien… (même si le réveil ce matin fut plus que tôtif)

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    3. Ça devait être un problème de connexion

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