05 mars 2014

Assez d'infinitifs !


(Contre l'abus de l'infinitif dans une certaine poésie actuelle.)


Avoir enfin trouvé le moyen de « faire poétique »…
S’éloigner pour cela de l’indicatif prosaïque et banlieusard.
Écrire en évitant ce mode vulgairement réel : s’absenter de son présent matériel et grossier, refuser son futur volontariste aux accents obligatoires, faire table rase de ses passés.
S’autoriser quelques gérondifs, comme au début de la phrase précédente, mais avec parcimonie.
S’interdire absolument la violence de l’impératif, insupportable aux oreilles modernes, citoyennes et démocratiques.
Dédaigner, bien évidemment, le subjonctif à l’emphase démodée.
L’écarter d’un revers de plume pour ne pas mourir de ridicule en ayant l’air d’un puriste.
De même, se méfier comme de la peste des élans romantiques et adolescents du conditionnel.
Vider, sans s’en apercevoir, le bébé de l’irréel avec l’eau du bain de ce mode ancien.
Rester près du corps… Vivre en dehors du temps… Voir Venise et mourir…
N’utiliser que l’infinitif… Se cantonner à l’infinitif… Exploiter l’infinitif…
Ça être tellement commode l’infinitif…
Se donner l’illusion, par l’emploi d’un mode impersonnel et l’évitement des pronoms, de ne pas parler de soi. Ne faire en réalité que ça.
Étaler ses sentiments tout en gardant l’air pudique… Laisser entendre avec un air entendu… Prendre des pincettes rougissantes... Bassiner le monde avec ce rythme répétitif... Choisir des phrases courtes et les hacher… Parsemer de quelques points de suspension pour l’aura de mystère…
Penser à éviter le style recette de cuisine, être certain d’y être parvenu.
Se croire original en plus.
Se relire… s’attendrir… semer le résultat sur les réseaux sociaux, comme avec réticence.
Attendre les hommages.

À leur arrivée, se rengorger.

6 commentaires:

  1. Et bien, j'aime beaucoup cette réflexion sur l'infinitif comme manière de se retrancher du réel sans avoir l'air d'y toucher.
    C'est salutaire !
    Il faudra que je pense à faire une réflexion du même genre sur le passif pour montrer qu'il y a bien de l'actif dans le passif !!!!

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  2. Intéressant.... Je reprendrai votre note dans le blog des correcteurs du Monde.fr
    http://correcteurs.blog.lemonde.fr/

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    1. Merci de cette appréciation et de la reprise. Je connais bien votre blog que j'aime beaucoup.

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  3. (quand-même):
    Aimer à perdre la raison
    Aimer à n'en savoir que dire
    À n'avoir que toi d'horizon
    Et ne connaître de saisons
    Que par la douleur du partir
    Aimer à perdre la raison

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  4. Justement ! Très bon exemple... Je déteste !!

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  5. Whether or not we may be, that is the question!

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