05 juin 2012

Le scorpion

La vue, depuis le porche de l'église de Chabeuil

C’est une église massive et laide, dressée sur une colline friable, qui domine le village. De son porche, on a une belle vue sur la vallée ;
On y accède par un escalier monumental jadis bordé par une large rampe de pierre brillante, polie par des générations de fesses enfantines.
Du temps de sa gloire, elle résonnait des sons de l’harmonium et des voix chevrotantes des dames de la paroisse, chantant la messe en latin.
J’y accompagnais ma grand’mère. Petite et mince, branlant la tête depuis une attaque, elle était vêtue en dimanche avec un bibi à voilette.
« Asperges me, Domine, hyssopo et mundabor : lavabis me, et super nivem dealbabor. Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam Tuam. »
C’est ainsi que cela commençait, toujours. Le prêtre se baladait de long en large en balançant son encensoir suivi de ses enfants de chœur.
Je trouvais le temps long et les dames ridicules, surtout celles qui prononçaient les sons « ou » en « u » (comme le fait Johnny Hallyday).
Mes yeux allaient des images du missel aux statues de plâtre coloré : Notre-Dame nous tendait les bras, Saint Georges terrassait son dragon.
Un jour, l’ennui dominical fut bousculé par un événement peu ordinaire. J’étais à genoux, à droite de ma grand’mère, près d’un gros pilier.
L’interminable Credo avait été chanté, ainsi que le Sanctus bêlé « Sanctusse » par les vieilles bigotes castafiores serrées au premier rang.
Dans le pieux recueillement qui précède l’Élévation signalée d’une discrète sonnette, on entendit le fracas soudain d’un prie-Dieu renversé.
Celui de Grand’mère, qui s’était dressée de toute sa petite taille, son petit sac à la main, et qui martelait la dalle de ses petits talons.
Derrière sa voilette baissée, on pouvait lire l’expression de son visage, qui montrait tour à tour la rage, le courage et la détermination !
Oui, à l’instar de Saint-Georges terrassant le dragon, ma grand’mère était en train d’écraser un scorpion. Elle ne lui laissa aucune chance.
Une fois la bête exterminée elle en poussa les restes contre le pilier de la pointe de son petit pied et revint s’agenouiller à côté de moi.
Un tonnerre silencieux d’applaudissements intérieurs emplit mon cœur et la nef. Ce meurtre accompli ma grand’mère, calmée, partit communier.
À la sortie de l’église après l’ite missa est, quand je dévalai, comme à l’habitude, mon toboggan de pierre, j’étais fière de ma grand’mère.
EC

1 commentaire:

  1. On imagine sans peine le dialogue de la famille scorpion éplorée, le soir lors du traditionnel repas dominical autour de la table familiale

    - et pourtant, ce n'est pas faute de lui avoir dit à la cousine Hortense, que les fréquentations qu'induisait sa bigoterie lui serait fatale

    - oui, mais que veux-tu, elle aimait cet endroit où elle pouvait avec ses amies à la sortie de la messe, déverser son venin sur le voisinage

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