23 mai 2012

Dans la même tombe

La tombe des deux amis
Depuis longtemps, j'essaie de trouver la forme qui convienne au récit d'une belle amitié, celle de mes deux grands-pères, amitié entre un protestant et un catholique qui se poursuit encore dans la tombe, aussi incroyable que cela puisse paraître.
J'ai essayé des formes courtes, j'ai essayé des formes plus longues. Finalement, c'est la contrainte des twittérateurs, cent quarante caractères par paragraphe, qui me paraît traduire le mieux ce que je voulais transmettre avec cette histoire.
Albert et Pierre mes deux grands-pères, étaient deux vrais amis. L’un officier, catholique et breton, l’autre médecin huguenot de la Drôme.
Albert avait un fils de 7 ans, mon père, et une fille plus jeune. Pierre avait 4 filles comme le Dr March. Ma mère, 6 ans, était la seconde.
Ils s’étaient rencontrés par le plus grand des hasards, pendant des vacances en famille au bon air du Chambon-sur-Lignon. Ils s’étaient plu.
Ils se sont retrouvés aux prochaines vacances, puis aux autres. Ils se sont baignés dans les rivières, ils ont crapahuté dans les montagnes.
Albert faisait des acrobaties, des jeux de mots et connaissait tout le répertoire d’opérettes. Les gosses, qu’il faisait rire, l’adoraient.
Cela ne dura pas cinq ans. Un jour chez son ami, Albert attrapa une sale grippe. Pierre le soigna, mais il mourut. Mon père avait onze ans.
Mon grand-père paternel, que je connus jamais, fut enterré dans le cimetière catholique du village où vivaient mes grands-parents maternels.
Ma grand-mère s’habilla en veuve avec de longs voiles noirs, mon père devint pupille de la nation. Aux vacances, ils revenaient chez Pierre.
Mon père et ma mère s’y retrouvaient avec plaisir. Avec mes tantes et des amis, ils partaient pour de fameuses balades dont on a des photos.
C’était avant la dernière guerre. Ils se fiancèrent puis mon père s’engagea dans la marine et ma mère l’attendit tout en étudiant son piano.
Ils ne purent s’épouser qu’en 1947. Et ce fut un sacré scandale, malgré l’amitié liant les deux familles. Un papiste, marier une huguenote !
Pas dans l’église, dans la sacristie. Et ma mère en pleurs forcée d’aller déposer des fleurs sur l’autel de la Vierge. Un acte d’idolâtrie !
Mais tout cela fut surmonté, et un an après, j’étais née. J’aimais mon grand-père Pierre, que j’appelais « ronpapa », je m’en souviens peu.
Je m’en souviens d’autant moins qu’il mourut lui aussi, assez subitement, d’une maladie du foie. Il n’avait que cinquante-trois ans environ.
Ma grand-mère et ses filles ne s’attendaient pas à cette mort. Aussi, rien de ce que l’on prépare lorsqu’on envisage un décès, n’était prêt.
En effet, aucune tombe n’avait été prévue ni aucun emplacement réservé dans le cimetière protestant. Comment enterrer grand-père dignement ?
Ma grand-mère paternelle proposa alors de l’inhumer provisoirement, dans le caveau de son ami Albert, en attendant une sépulture définitive.
Pierre avait tant invité Albert chez lui ! Albert ne devait-il pas lui rendre la pareille, et lui faire une place dans sa dernière demeure ?
Ce qui fut fait tout simplement. Ensuite à chaque décès dans la famille, on se posait la question de transférer le grand-père, et puis rien.
C’est ainsi que depuis plus de soixante ans, un médecin protestant et un officier catholique reposent côte à côte (c’est le cas de le dire).
Un bel exemple de tolérance, que celui donné à la face des sectaires par ces deux amis, mes deux grands-pères enterrés dans la même tombe !

EC 

6 commentaires:

  1. pouèt!!
    J'ai du bien connaître l'Amiral de la Flotte,
    et depuis je reste une de ses amies.
    Respect...
    Marijo

    RépondreSupprimer
  2. Mes grands-parents furent catholiques, sont maintenant protestants, Papa pasteur et copain avec l'abbé local, il a même un fan club parmi les doyennes des ouailles d'icelui quand ils font des célébrations œucuméniques. Pas au point de se faire inhumer ensemble – ils se verront bien assez au Paradis –, mais au moins de se faire un resto de temps en temps, ce qui est déjà pas si mal. Quand je le raconte, on me fait des grands yeux étonnés. Je suis content d'être au milieu de tout ça. Jamais rien compris aux guéguerres doctrinales. On est homme avant tout.

    RépondreSupprimer
  3. C'est l'un des plus beaux textes que j'ai lus sur internet. Chaque fois que je passe chez toi je viens le relire.

    RépondreSupprimer

Malgré Facebook, j'apprécierais que vos commentaires soient publiés sur blogotobo. Merci d'avance !