26 mai 2009

À moitié drôle


Soudain l’œil droit heurte.
On jette un cri, on a mal.
Du canal lacrymal
jaillissent sauriennes larmes.
Et s’engourdit la bouche
comme gueule de bois
mais seulement à dextre.
À table œil et bouche gênent.
On cligne on remue on se regarde dans la glace
On grimace.
On se couche en disant une bonne nuit là-dessus
Et tout ira bien. Mais

Le matin la réalité heurte.
À cinq heures
Quand on constate que l’œil droit ne se clôt
Que la joue est morte, et jusqu’au cou,
Ça craint.

À huit heures on le reconnaît, on le dit, on l’énonce.
(Sans articuler certaines lettres qui d’ailleurs manquent ici).
— Merde, dit le conjoint.
Au cabinet médical, le docteur
Ordonne les urgences.

À l’Hosto le toubib dit d’un air arrogant :
Central ? Neurologique ? Non non, mais ORL
Syndrome de Bell !
Des tests, du sang, un électrocardiogramme
La tension, la chaleur interne,
Tout est mesuré, consigné.
Sur l’ordonnance, on lit cortisone et Zélitrex
Et scotchez-moi cet œil la nuit.

Car on ne dort que d’un œil, le bon.
L’autre bée obstinément.
On l’arrose régulièrement
On l’oint d’onguents
On le chattertonne
Il ne bouge jamais d’un cil

.........

Huit jours sont écoulés et il y a du mieux.
La joue remue légèrement,
l’œil réussit à se clore.
Quelques séquelles drôles sont à craindre,
Comme les larmes de crocodile :
Les axones et les dendrites se mélangent les canaux
Entre le canal lacrymal et celui de Sténon, ils se gourent,
Et on chiale en mangeant.

Texte écrit sans p ni v ni f, que la paralysie faciale périphérique empêche de prononcer.

17 mai 2009

Maurice Fourré


«Tout au bas de l'échelle des êtres doués d'un si faible registre dans l'expression de la douleur, un vermisseau dont le frisson dans son faible corps annelé indique seul la peine ou la crainte et qui ne sait sourire, reçoit dans la nuit de sa vie sans yeux le sourire d'un Ambassadeur.»
Ces lignes sont extraites de la Nuit du Rose-Hôtel, de Maurice Fourré. Vous ne connaissiez pas cet auteur ? Moi non plus, jusqu'à l'invitation de Tristan Bastit via Facebook à fêter, cité Véron hier soir, le cinquantenaire de la mort de Maurice Fourré et les dix ans du spectacle Les Éblouissements de Monsieur Maurice, le tout autour d'un buffet angevin. Eh bien cela donne envie de le lire. Attention, c'est une langue très musicale, ce qui peut gêner ceux qui comme moi, ont une propension à se laisser bercer par les mots et hypnotiser par le rythme, au détriment de l'attention qu'il faut garder pour le sens, qui ne manque pas.
La soirée, très sympa, alternait interventions d'acteurs récitant des textes de Maurice Fourré (beaucoup extraits justement de la Nuit du Rose-Hôtel), dégustation de produits angevins, rillettes, jambonneau et vins rouge, rosé ou blanc, et film sur Maurice Fourré, dans lequel Michel Butor intervient de façon remarquable. Aux murs, une photo de Maurice Fourré et des illustrations de Tristan Bastit, un projet pour une édition de la Marraine du Sel qui se concrétisera peut-être un jour, on l'espère.
D'autres photos de la soirée sont visibles ici, car Maurice Fourré a un groupe d'amis sur Facebook, et je vous conseille une visite sur le site de l'Association des Amis de Maurice Fourré.

16 mai 2009

Photogénique


Depuis quelques séances, le technicien de la Bibliothèque Nationale nous gratifie, lors des jeudis de l'Oulipo, de quelques secondes de gros plan sur les visages des oulipiens au fur et à mesure de leurs interventions. Et comme Roubaud est photogénique, il s'attarde un peu sur le sien, ce qui me donne le temps de faire des photos correctes !
Ils étaient donc sept, avant-hier jeudi 14 mai, à plancher sur le thème de la prose liquide. Jacques Jouet, Jacques Roubaud, Marcel Bénabou, Michelle Grangaud, Ian Monk, Hervé le Tellier et Valérie Beaudouin. En l'absence de Frédéric Forte, que ses nouveaux devoirs paternels doivent absorber, Jacques Jouet a lu des extraits de ses 99 notes préparatoires à la prose liquide, pour le plus grand plaisir de la salle. J'ai retenu par exemple : «la prose gazeuse doit ressembler à quelque chose comme le vers libre». Puis Jacques Roubaud, à mon grand plaisir, lit quelques textes de Gonçalo Tavares, un auteur portugais que j'adore depuis que D. m'a fait découvrir Monsieur Valéry. Ses poèmes sont tout aussi remarquables. (Et faites moi penser à acheter Jérusalem, son dernier roman). Marcel Bénabou a réuni dans un texte plaisant toutes les expressions de la langue française qui font allusion à l'eau. Michelle Grangaud pastiche Proust en une phrase interminable et coulante. Ian Monk décrit l'adolescence de Mek Ouilles, avec un gros succès. Hervé le Tellier lit un extrait de son prochain roman, construit selon le jeu des dominos, ce qui ne s'entend pas forcément. François Caradec, excusé pour cause de décès, est à l'honneur, avec un texte désopilant extrait de son dernier ouvrage Entrez donc, je vous attendais. Jacques Jouet a lui aussi un prochain roman, «concurrent direct de celui de le Tellier», dont il cite quelques passages, tandis que Valérie Beaudouin nous lit du Garréta. Une bonne séance après deux moyennes, que nous terminons en bonne compagnie avec la pizza habituelle, arrosée évidemment à l'Orvieto.

14 mai 2009

Encore un pas et puis le ciel


Le Musée d'Art et d'Histoire de Saint-Denis est installé dans l'ancien Carmel, rénové au XVIIIe siècle par Louise de France, une des filles de Louis XV qui y fut pensionnaire, et au XXe par la Municipalité. Un lieu magnifique, certes un peu austère, mais qui tranche de façon heureuse et douce avec son environnement. À l'entrée de chacune des salles distribuées par le cloître, on peut lire au dessus de la porte une sentence mystique, aujourd'hui parfaitement décalée et donc productrice d'un excellent comique. Surtout quand la salle en question est celle des toilettes pour dames et que la sentence est :
Que votre modestie
Soit connue de tous les hommes.
On note d'autres perles de la même eau comme Le plaisir de mourir sans peine Vaut bien la peine de vivre sans plaisirs. ou Encore un pas Et puis le ciel. Pour atteindre non pas le ciel mais la salle où avait lieu hier mercredi une journée d'étude consacrée à François Caradec, il fallut fouler les tombes des carmélites et longer une citation de Thérèse d'Avila inscrite dans le sol en lettres d'acier. Cela en valait la peine. Étienne Cornevin, professeur de «tératologie poétique» à Paris 8 avait réuni les meilleurs intervenants. Malgré un fil conducteur un peu réducteur, la monstruosité, ils ont réussi à donner une image assez complète de cet auteur aux facettes multiples. Éric Dussert (L'Alamblog, le Matricule des Anges) parla d'abord de L'Encyclopédie des farces et attrapes et mystifications, édité chez Pauvert en 1964, écrit par Caradec en collaboration avec Noël Arnaud et alii, la situant dans le contexte du Collège de 'Pataphysique, de l'Institut français de Farces et Attrapes, et du Da Costa encyclopédique. [À ce point de la réunion, je constate que s'il est beaucoup question du Rire, peu dans la salle semblent se gondoler, en tout cas pas les rares étudiants qui s'y trouvent]. Yves Frémion, en tant que spécialiste incontesté des petits miquets, parle ensuite de Caradec iconologue, et plus particulièrement de sa «colombophilie» : Caradec était un admirateur et connaisseur de Christophe (i.e. Georges Colomb), l'immortel créateur du Savant Cosinus, du Sapeur Camembert et de la Famille Fenouillard, dont il écrit la biographie, la première consacrée à un auteur de bandes dessinées. Puis c'est au tour d'Astrid Bouygues, qui fait un exposé remarquable de finesse sur Caradec lecteur de Queneau, exégète de sa rime «asthmatique», et qui lui a consacré 10 articles. Pour Caradec, l'œuvre de Queneau n'est qu'une longue quête de l'enfance. Jacques Jouet, pour sa belle et riche intervention, a choisi la forme de la quenine qu'il explique au public: neuf strophes de neuf vers avec neuf éléments permutant (dans son cas les débuts de vers) selon des règles précises. Il a remarqué dans les Nuages de Paris l'occurrence importante du mot passer.
Avec ces deux dernières interventions on est un peu sorti de l'image trop réductrice du Caradec humoriste, pour aborder celle du Caradec poète et écrivain, excellent poète et excellent écrivain. C'est la pause. J'en profite pour photographier M. et A. Z. qui prennent des attitudes idoines sous les sentences mystiques. Déjeuner au Thaï d'en face, menu buffet à volonté pour 10 euros cinquante. Pas mal du tout. Et puis cela reprend.
J'ai peu suivi le premier exposé d'Étienne Cornevin sur la logique et Allais, digestion oblige, mais j'ai retenu qu'au mot de «pensée penchée», Claude Debon, de la salle, a fait cette remarque: «mais n'est-ce pas la définition du Clinamen ?» Elle a raison. Christian Laucou intervient ensuite sur Caradec typographe et montre une série de belles images de couvertures ou d'intérieurs de livres. Bruno Fuligni, qui dirige la Mission éditoriale de l’Assemblée nationale, parle brillamment des rapports de la farce et du sacré. Le comique de la politique vient de son excès de sérieux. La politique serait la mystification par excellence. Les «petites histoires» de l'Assemblée nationale, toutes vérifiables, sont toutes fausses ou presque. Mais chez Caradec, tout est vrai, et il a le don à partir du petit détail, de reconstituer l'ensemble, le grand truc finalement si dérisoire auquel il a conduit. Alain Zalmanski, remplaçant Paul Gayot, explique à un public déjà bien initié les arcanes de la 'Pataphysique, de ses commissions et co-commissions, ainsi que les fonctions et les titres de François Caradec, à l'aide de slides Power Point. [C'est curieusement le seul de toute la bande qui se soit servi de cet outil pourtant indispensable au conférencier d'aujourd'hui]. Étienne Cornevin conclut enfin, mais il n'y a plus un étudiant dans la salle. La table ronde qui suivit a dû paraître bizarre aux deux ou trois non pataphysiciens présents dans ce qui restait de public.

11 mai 2009

De but en blanc


Affluence mercredi soir au Crayon qui tue (éditeur), pour la présentation et la signature de «De but en blanc», un monologue en polychromie véritable de Marcel Bénabou, avec sept méthodes de phraséochromie par l'Ouvroir de peinture potentielle, l'Oupeinpo.
Le «monologue» de Marcel Bénabou, dans la droite ligne de son travail sur le «langage cuit», explore et permute de façon jouissive les nombreuses expressions de la langue française contenant des noms de couleur. Il se termine par une grille permettant à chacun de se créer ses propres images. Par exemple un avocat marron peut jouer à l'éminence grise au bord de la Mer rouge, une victime de la marée noire peut avoir une trouille verte face à un bas-bleu, etc. etc. Ces couleurs n'ont pas manqué d'inspirer les membres de l'Oupeinpo. Tristan Bastit, l'appliquant à des œuvres antiques et notamment la colère (noire) d'Achille, illustre Loth complètement noir et ses filles au noir dessein par de savantes manipulations de pixels. Jacques Carelman, rivalisant avec Klein, montre 3 monochromes : un casque bleu ayant une peur bleue au cabaret de l'Ange bleu, un Peau-rouge tirant à boulets rouges sur la place Rouge, et un jardinier à la main verte portant l'habit vert square du Vert-Galant. Thieri Foulc construit, à partir du célèbre tableau de Delacroix La Mort de Sardanapale, un étonnant Peau rouge broyant du noir en ses nuits blanches. Olivier O. Olivier, réalisant «que la place Blanche [est] rendue par un moulin rouge et que «le vin blanc [est] plutôt jaune pâle», renonce à colorier ses croquis pour laisser libre cours à l'imagination du lecteur. George Orrimbe, déjà inventeur de la méthode vocalo coloriste, l'applique avec rigueur et pertinence à ce nouveau sujet pour figurer un auteur de série noire faisant grise mine rue du Château rouge et 3 autres planches mêmement codées. Brian Reffin Smith fabrique une volvelle (disques superposés, voir ici) formée, pour le disque inférieur, de l'Origine du monde de Courbet réduite à sa sélection rouge, et pour le supérieur d'un disque à trous sur lequel on inscrit les expressions contenant le mot rouge, et obtient par cette machine un Rouge voyant rouge au bord de la mer... assez terrifiant. De Jack Vanarsky, enfin, dont ce sont hélas les dernières créations, 4 dessins noir et blanc : chacun illustre une expression (par exemple un gris boit du bordeaux..) à la manière d'un dessin de presse, mais se voit associer une tache formée des couleurs citées.
Un très bel ouvrage qui montre aussi la créativité de l'association trop rare oulipo-oupeinpo.
48 pages, 24 € à commander au Crayon qui tue, 51 A rue du Volga, Paris XXe.

06 mai 2009

Hervé le Tellier parle de Raymond Queneau







Hervé le Tellier présentait tout à l'heure, dans le cadre des mercredis littéraires du Petit Palais, deux archives de l'INA dans lesquelles on pouvait voir Raymond Queneau répondre aux questions de Pierre Dumayet. Dans la première, interrogé sur sa méthode d'écriture, Raymond Queneau répond en joignant le geste à la parole (photo centrale) et construit sous nos yeux une grille préfigurant en quelque sorte celles de Perec pour la VME. Dans la seconde, on découvre la poésie de Queneau à travers le Chien à la Mandoline qui vient d'être publié. Ce recueil est une sorte de journal intime dans la mesure du moins où les poèmes — surtout des sonnets même s'ils ne sont pas tous des sonnets réguliers — sont rangés par ordre chronologique et s'inspirent de faits divers publics ou personnels. Il est très émouvant d'entendre Raymond Queneau, à propos de «terre meuble», le dernier et plus long de ces sonnets, qui contient ces mots «mon vœu le plus cher c'est de disparaître», répondre à Pierre Dumayet avec simplicité et comme une évidence que, oui, c'est son vœu le plus cher. L'art poétique est évoqué avec le fameux poème «encore l'art po» dont Hervé le Tellier souligne la progression, du style «table de multiplication» du début jusqu'à la fin sérieuse. On a aussi parlé du classicisme à propos du sonnet «Voilà que j'assiste à un grand dîner officiel» (en l'honneur de Colette) qui n'est pas sans évoquer le repas ridicule de Boileau, et HLT nous a lu un passage de Corneille que RQ aurait pu signer.

Quant à moi, mon vœu le plus cher, c'est qu'un jour le lien à la mode en Chine soit le Chien à la mandoline.

04 mai 2009

La danse macabre
















Les Français en quête de Tamiflu*,
Méfiants, déféquant ailleurs,
Se lamentent du risque affilé.
Filme leur danse fantastique !

Quarante neuf mille sédatifs
Allumant identiques effarés
Fusent en masque, allié tardif,
Le marquant du fiel si néfaste,

L’assénant de fruit maléfique.
Qui renifle se damna, tel Faust.
Idée qu’ils meurent, s’affalant,
Défuntant, alarmés, liquéfiés !

Maudits relaient efflanqués,
Déquillant menteur affaissé.
Dans le fumier, lest fanatique,
La Tarasque de festin fulmine.

EC

* poème anagrammatique sur un titre du Figaro du 1er mai.
chaque vers contient les mêmes lettres que ce titre, mais dans un ordre différent.

01 mai 2009

H1N1 - Anagrammes d'actualité

Pigeon, pourceau pourrissant là,
un souci, par le groin osé, apparut.
Or un agriculteur posa sa pipe. On
grinça, ou présupposa la truie.
La peur — âge pourri ! — nous constipa.
La corruption, au sinus propagée,

par contagion sueur popularise.
Aucune guérison, à part propolis.
Galoper soupirant ? Aucun espoir !
SOS ! Rongé au lit, aucun approprié
appui pour s’écrouler agonisant.
La grippe porcine nous aura tous.

EC