05 février 2009

Journée Queneau du 31 janvier 2009 (après-midi)

Je reprends ici mon compte-rendu de la 11e journée Queneau, commencé ce matin.

C'est à notre tour ! Nous, c'est à dire un duo de journalistes, formé de François Naudin (association des Amis de Valentin Brû), et de moi-même, très intimidée devant ce parterre d'universitaires distinglés.
Notre sujet est «Zazie entre quat'zyeux [à propos de la bande dessinée de Clément Oubrerie]». François l'introduit en rappelant le contexte historique, le succès populaire du roman Zazie dans le métro et les différentes analyses qu'il a pu inspirer : Zazie comme figure de Jésus Christ, comme décalque d’Alice au pays des merveilles ou comme contrepoint à Ubu Roi ; j'enchaîne avec une présentation illustrée des différentes éditions et adaptations de Zazie, depuis Siné, Carelman et Louis Malle jusqu'à Catherine Meurisse (dernière édition en date) en passant par Roger Blachon, Clément Oubrerie (adaptation en BD) et la désastreuse édition «folio plus classique» de 2006 (désastreuse à cause de sa couverture qui n'a strictement rien à voir avec le titre).
Nous nous focalisons ensuite sur la BD. François passe en revue les invraisemblances qu'il a repérées dans la représentation du Paris de 1958 : Paris était noir de pollution, les monuments étaient sales, ici tout est beau et propre. Les taximètres étaient à l'extérieur des taxis, pas à l'intérieur, le flic a un passepoil rouge sur le pantalon, comme les douaniers, etc. Il s'étonne que le dessinateur fasse partir et arriver Zazie de la gare du Nord au lieu de celle d'Austerlitz, ce qui rend incompréhensible certains passages concernant le métro, aérien ou non. À propos de métro, pourquoi avoir choisi comme illustration des pages de garde la station Abbesses qui est un faux caractérisé ? Pourquoi avoir escamoté la grille du métro en grève, ce qui rend les pleurs de Zazie incompréhensibles ? Et pourquoi avoir choisi de représenter Marceline comme une jeune femme black ? À l'époque, c'était invraisemblable, et la simple vision d'un couple mixte aurait focalisé toutes les questions de Zazie et des autres. Il termine en remarquant que le texte a été expurgé des expressions comprenant le mot «merde», mais que la clausule «mon cul» subsiste, sans doute devenue convenable.
J'enchaîne en reprenant de façon plus détaillée mon compte-rendu dans la revue des AVB. En comparant attentivement le texte original et celui de la BD, j'ai remarqué des coupures qui ne doivent pas toutes au travail d'adaptation nécessaire (coupures des descriptions, des «didascalies», des mots trop savants ou trop obsolètes etc.) : il y a en effet des coupures qui concernent ce qui fait tout le sel du roman, c'est à dire l'ambiguïté sexuelle des personnages. C'est ainsi que passent à la trappe toutes les allusions à un Gabriel trop tantouse : le mouchoir mauve très connoté dont il se tamponne le tarin, son évanouissement de fillette chez Turandot, sa peau douce, son épilation du menton, sa façon de baisser modestement les yeux ou de se trémousser quand on lui tape sur la cuisse, son rougissement aux blagues allusives. Des passages entiers disparaissent ainsi :
«vous allez pas nier que c’est parce que la mère vous considère comme une tante qu’elle vous a confié l’enfant ; et Gabriel devait bien le reconnaître Iadssa, iadssa, qu’il concédait»
ou le fameux
«il paraît qu'avec lui je n'ai rien à craindre»
dont l'escamotage rend incompréhensible le dialogue Zazie/Pedro Surplus dans les deux cases du bas de la page 21.
Toute allusion à une Marceline elle aussi ambiguë disparaît de même, et notamment toutes les allusions de Gabriel au fait que Marceline ne sort pas sans lui, ne porte pas de bloudjinnzes, etc. Et plus aucune trace de la scène très hot de séduction réciproque entre Mado ptits pieds et Marceline...
Je poursuis en me demandant ce qui reste du roman après ce lissage et ces coupures (Clément Oubrerie a «coupé ce qui dépassait», dit-il lui-même dans le dernier numéro des AVB en réponse à ma critique).
Et je termine en citant Queneau :
Le succès de Zazie a été un choc qu’il m’a été difficile de supporter. Je disais en ne me disant pas, seulement pour les happy few, je disais et voilà que la foule s’écrie « j’ai compris » même si c’est faux ; c’est impressionnant.

2 commentaires:

  1. http://clementoubrerie.blogspot.com/2008/03/zazie-dans-le-mtro-2.html

    je me demande s'il n'a pas fait un personnage noir tout simplement parce qu'il est incapable de concevoir une BD sans personnage noir.

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  2. Voici ce qu'il en dit dans la AVB n°52-53, p. 114 : «"Pourquoi est-elle noire ?" me demande-t-on souvent. C'est une question qui me surprend, car rien n'indique dans le roman qu'elle ne le soit pas».
    Rien n'indique non plus qu'elle le soit...

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